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mercredi 1 octobre 2025

Une obsession sioniste : se débarrasser des Palestinien·nes

 Michel Staszewski

Une version légèrement raccourcie de ce texte est parue dans le numéro 105
 (septembre 2025) de "Palestine", revue de l'Association belgo-palestinienne   

Le nettoyage ethnique de la Palestine est indissociable du projet sioniste, une colonisation de peuplement qui vise à remplacer la population locale  par des Juifs venus d’ailleurs

Les premiers sionistes émigrent d’Europe vers la Palestine, qui faisait alors partie de l’Empire ottoman, vers 1880. Ce territoire est alors peuplé d’environ 500.000 habitants, dont 85 % de musulmans, 10 % de chrétiens et 5 % de juifs. Cette minorité juive autochtone ne se distingue des autres habitants de cette région que par sa religion. Sa langue usuelle est l’arabe palestinien. Elle n’utilise l’hébreu (ancien) que pour l’accomplissement des rites religieux. Elle ne peut être qualifiée de sioniste car elle ne manifeste aucune aspiration à ne vivre qu’entre Juifs et certainement pas à la création d’un État juif.

Les « sionistes socialistes », champions de l’éviction des Palestiniens

Par contre les premiers immigrants sionistes partagent tous le même projet de créer un État juif en Palestine. Mais ils sont divisés entre ceux qui sont prêts à engager, à bas prix, dans les entreprises qu’ils créent, de la main d’œuvre locale pour les fonctions subalternes et les « sionistes socialistes » qui l’excluent, au nom du refus de l’« exploitation de l’homme par l’homme ». Ce  courant « sioniste socialiste » va bientôt dominer, et pour longtemps, le Yishouv[1] sioniste. L’historien Henry Laurens note à leur sujet : « Le paradoxe historique vient de ce que ce sont les tenants de la lutte des classes qui introduisent le conflit national en Palestine. Cette situation de rivalité économique entre les deux mains-d’œuvre s’accompagne d’un discours dépréciatif, voire franchement raciste, de la part des ouvriers juifs envers leurs concurrents arabes. »[2]

Dès 1901, sur décision du cinquième Congrès sioniste, est créé le « Fonds national juif » (Keren Kayemet LeIsraël ou KKL). Son rôle essentiel sera de réunir des fonds pour l’achat de terres en Palestine, déclarées « propriété inaliénable du peuple juif » afin de constituer une réserve foncière (…) destinée à être affermée à bail héréditaire aux colons sionistes, à condition qu’ils n’emploient pas de main d’œuvre arabe »[3].

Le déplacement forcé des paysans palestiniens non propriétaires des terres sur lesquelles ils travaillaient commence donc, à petite échelle, bien avant la création de l’État d’Israël.

1948 et après : une nakba continue

En 1947, les Juifs ne constituent encore que moins d’un tiers de la population totale de la Palestine. En novembre de cette année-là, la décision prise par l’Assemblée générale de l’O.N.U., contre l’avis unanime des Palestiniens, de créer un « État juif » sur 56 % du territoire de la Palestine, bien qu’accueillie favorablement par les dirigeants sionistes, va cependant, de leur point de vue, les placer devant un problème redoutable : 45 % des habitants du territoire qui leur est alors attribué sont des Arabes, musulmans et chrétiens.

Profitant de leur supériorité militaire, ils vont « régler ce problème » en appliquant leur plan Dalet : préparé dès la fin des années 1930, son but était de provoquer le départ forcé d’un maximum d’Arabes des territoires contrôlés par les forces sionistes[4]. C’est ainsi qu’à la veille de l’entrée en Palestine de contingents armés de cinq États arabes, le 15 mai 1948, près de 400.000 Palestiniens ont déjà été expulsés du territoire alors contrôlé par les groupes armés sionistes ou l’ont fui, terrorisés par des massacres commis par ces mêmes groupes.

A la fin des combats (juillet 1949), ce sont entre 750.000 et 800.000 Palestiniens, soit environ 80 % de ceux qui habitaient le territoire désormais sous le contrôle de l’État d’Israël (78 % de la Palestine mandataire[5]) qui auront été chassés et empêchés de revenir. Ceux qui n’ont pas quitté ce territoire ou qui ont réussi à y revenir clandestinement ne constituent alors plus que 17 % de la population de l’« État juif ».

Dans les années suivantes, ces exilés seront remplacés par des centaines de milliers de Juifs venus essentiellement d’Europe et, surtout, du monde arabe.

La fin des combats ne signifie pas celle des expulsions. Non seulement l’armée israélienne traque et tue ceux des exilés qui tentent de revenir dans leurs foyers mais elle organise de nouvelles expulsions. C’est ainsi que plusieurs milliers d’habitants d’al-Majdal (renommée « Ashkelon » par les Israéliens) seront expulsés du territoire désormais devenu Israël entre décembre 1949 et l’automne 1950. Entre 1949 et 1951, 17.000 bédouins sont chassés du désert du Naqab (Néguev) vers la Jordanie et l’Égypte.[6] L’historien israélien Ilan Pappe mentionne des expulsions massives jusqu’en 1953. En 1956, le général Yitzhak Rabin fera encore expulser 700 personnes vers la Syrie. Et, en 1962, 750 membres de la tribu bédouine d’al-Hawashli seront embarqués dans des camions et conduits hors du pays.[7]

1967 : un nettoyage ethnique massif… mais incomplet… qui se poursuit

En juin 1967, l’armée israélienne conquiert le reste de la Palestine, le plateau syrien du Golan et le désert égyptien du Sinaï (seul ce dernier sera évacué et rendu à l’Égypte, par étapes, entre 1979 et 1982). Cette conquête s’accompagne à nouveau d’un nettoyage ethnique des populations arabes de ces territoires mais qui ne réussira qu’en partie : il sera quasi-total sur le plateau du Golan (110.000 expulsés sur un total de moins de 120.000 habitants) mais les Israéliens ne réussiront à forcer à l’exil « que » 100.000 exilés de 1948 et 200.000 habitants non exilés de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie. Concernant la bande de Gaza, sur un total de 385.000 habitants, moins de 50.000 fuiront, seront chassés ou incités financièrement à partir.[8]

Même si, depuis lors, et continuellement, des milliers de Palestiniens seront encore contraints à l’exil par les autorités israéliennes sous divers prétextes, sur l’ensemble du territoire de la Palestine, désormais entièrement sous domination israélienne, la proportion de Palestiniens ne cessera d’augmenter au point de dépasser aujourd’hui légèrement la population juive.  

A défaut de pouvoir les expulser totalement de leur pays, les dirigeants israéliens refusent d’accorder des droits politiques aux Palestiniens des territoires conquis depuis 1967, même à ceux de Jérusalem-est, territoire pourtant annexé à Israël et leur rend la vie quotidienne de plus en plus insupportable.

En Cisjordanie, le morcellement du territoire consécutif aux accords d’Oslo de 1993, la poursuite de l’occupation militaire et de la colonisation, les destructions de bâtiments construits « illégalement », les déplacements forcés de Palestinien·nes au sein des territoires occupés et les entraves quotidiennes mises à leur circulation rendent la vie économique et sociale de plus en plus pénible. A quoi s’ajoute la répression implacable de toute forme de résistance et l’agressivité de plus en plus meurtrière - et impunie - des colons. Tout cela va pousser une petite minorité d’habitants qui en ont la possibilité à s’expatrier.

Le génocide des Gazaouis au service du nettoyage ethnique     

Après la prise du pouvoir par le Hamas à Gaza en 2007, les dirigeants israéliens décrètent que ce territoire, déjà sous blocus hermétique depuis le départ des colons juifs en 2005, devient une « entité hostile ». Les Gazaouis sont dès lors sévèrement rationnés en biens aussi indispensables que la nourriture, l’eau potable, les matériaux de construction, les équipement médicaux, les médicaments, les carburants et l’électricité. Ils seront aussi   régulièrement victimes de nombreux et meurtriers bombardements ainsi que d’incursions militaires terrestres tout aussi sanglantes.

En 2012, l’O.N.U. publie un rapport prédisant que si un tel blocus se poursuit, la vie y sera devenue impossible en 2020.[9]  Mais en 2017, Robert Piper, coordinateur des affaires humanitaires pour le territoire palestinien occupé, affirme dans un autre rapport[10] que les conditions de vie à Gaza sont déjà devenues invivables : 90 % des entreprises ont cessé leurs activités ; plus de 60 % des jeunes sont sans emploi ; plus de 96 % de l’eau est impropre à la consommation ; la distribution d’électricité oscille entre 4 et 8 heures par jour. Pour survivre, 80 % de la population dépend désormais de l’aide humanitaire fournie par l’O.N.U. ou par des organisations non gouvernementales.

L’opération armée menée par le Hamas le 7 octobre 2023 a servi de prétexte au gouvernement d’extrême droite, parvenu au pouvoir en décembre 2022, pour mettre en œuvre un plan visant, à terme, à vider la bande de Gaza de ses habitants palestiniens. Le génocide en cours, même s’il fait un nombre énorme de victimes, ne vise pas à massacrer ou à faire mourir de faim l’ensemble de la population de ce territoire. Il est l’épouvantable moyen utilisé pour provoquer le départ massif des survivant·es. Le premier ministre israélien ne s’en cache absolument pas.

Tout au long du combat que les dirigeants sionistes ont mené pour concrétiser leur projet d’établir puis de maintenir un « État juif » en Palestine, ils ont mis en pratique, à grande ou à petite échelle selon les circonstances, ce crime contre l’humanité que constitue le nettoyage ethnique des Palestinien·nes. Depuis octobre 2023, cette obsession de vider les territoires sous le contrôle d’Israël d’un maximum d’« Arabes » les a conduit, à Gaza, à perpétrer le pire des crimes de masse, un génocide, dont ils espèrent que les survivant·es finiront par se résigner à l’exil.   



[1] Yishouv : « peuplement » en hébreu.

[2] H. LAURENS, La Question de Palestine, Tome premier, Fayard, 1999, p. 219. 

[3] N. PICAUDOU, Les Palestiniens. Un siècle d’histoire, éd. Complexe, 2003, p. 23.

[4] I. PAPPE, Le nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard, 2006, pp. 41 à 45.

[5] Palestine mandataire : Territoire palestinien sous « mandat » (protectorat) britannique, de 1920 à 1948.  

[6] H. LAURENS, op. cit., Tome 3, pp. 299-300.

[7] I.PAPPE, op. cit., p. 284.

[8] T. SEGEV, 1967, six jours qui ont changé le monde, Denoël, 2007, p.537.

[9] Gaza in 2020. A liveable place ? A report by the United Nations Country Team in the occupied palestinian territory, août 2012.

[10] Gaza Ten years later, United Nations Country Teams in the occupied palestinien territory, juillet 2017.

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