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mercredi 1 octobre 2025

Une obsession sioniste : se débarrasser des Palestinien·nes

 Michel Staszewski

Une version légèrement raccourcie de ce texte est parue dans le numéro 105
 (septembre 2025) de "Palestine", revue de l'Association belgo-palestinienne   

Le nettoyage ethnique de la Palestine est indissociable du projet sioniste, une colonisation de peuplement qui vise à remplacer la population locale  par des Juifs venus d’ailleurs

Les premiers sionistes émigrent d’Europe vers la Palestine, qui faisait alors partie de l’Empire ottoman, vers 1880. Ce territoire est alors peuplé d’environ 500.000 habitants, dont 85 % de musulmans, 10 % de chrétiens et 5 % de juifs. Cette minorité juive autochtone ne se distingue des autres habitants de cette région que par sa religion. Sa langue usuelle est l’arabe palestinien. Elle n’utilise l’hébreu (ancien) que pour l’accomplissement des rites religieux. Elle ne peut être qualifiée de sioniste car elle ne manifeste aucune aspiration à ne vivre qu’entre Juifs et certainement pas à la création d’un État juif.

Les « sionistes socialistes », champions de l’éviction des Palestiniens

Par contre les premiers immigrants sionistes partagent tous le même projet de créer un État juif en Palestine. Mais ils sont divisés entre ceux qui sont prêts à engager, à bas prix, dans les entreprises qu’ils créent, de la main d’œuvre locale pour les fonctions subalternes et les « sionistes socialistes » qui l’excluent, au nom du refus de l’« exploitation de l’homme par l’homme ». Ce  courant « sioniste socialiste » va bientôt dominer, et pour longtemps, le Yishouv[1] sioniste. L’historien Henry Laurens note à leur sujet : « Le paradoxe historique vient de ce que ce sont les tenants de la lutte des classes qui introduisent le conflit national en Palestine. Cette situation de rivalité économique entre les deux mains-d’œuvre s’accompagne d’un discours dépréciatif, voire franchement raciste, de la part des ouvriers juifs envers leurs concurrents arabes. »[2]

Dès 1901, sur décision du cinquième Congrès sioniste, est créé le « Fonds national juif » (Keren Kayemet LeIsraël ou KKL). Son rôle essentiel sera de réunir des fonds pour l’achat de terres en Palestine, déclarées « propriété inaliénable du peuple juif » afin de constituer une réserve foncière (…) destinée à être affermée à bail héréditaire aux colons sionistes, à condition qu’ils n’emploient pas de main d’œuvre arabe »[3].

Le déplacement forcé des paysans palestiniens non propriétaires des terres sur lesquelles ils travaillaient commence donc, à petite échelle, bien avant la création de l’État d’Israël.

1948 et après : une nakba continue

En 1947, les Juifs ne constituent encore que moins d’un tiers de la population totale de la Palestine. En novembre de cette année-là, la décision prise par l’Assemblée générale de l’O.N.U., contre l’avis unanime des Palestiniens, de créer un « État juif » sur 56 % du territoire de la Palestine, bien qu’accueillie favorablement par les dirigeants sionistes, va cependant, de leur point de vue, les placer devant un problème redoutable : 45 % des habitants du territoire qui leur est alors attribué sont des Arabes, musulmans et chrétiens.

Profitant de leur supériorité militaire, ils vont « régler ce problème » en appliquant leur plan Dalet : préparé dès la fin des années 1930, son but était de provoquer le départ forcé d’un maximum d’Arabes des territoires contrôlés par les forces sionistes[4]. C’est ainsi qu’à la veille de l’entrée en Palestine de contingents armés de cinq États arabes, le 15 mai 1948, près de 400.000 Palestiniens ont déjà été expulsés du territoire alors contrôlé par les groupes armés sionistes ou l’ont fui, terrorisés par des massacres commis par ces mêmes groupes.

A la fin des combats (juillet 1949), ce sont entre 750.000 et 800.000 Palestiniens, soit environ 80 % de ceux qui habitaient le territoire désormais sous le contrôle de l’État d’Israël (78 % de la Palestine mandataire[5]) qui auront été chassés et empêchés de revenir. Ceux qui n’ont pas quitté ce territoire ou qui ont réussi à y revenir clandestinement ne constituent alors plus que 17 % de la population de l’« État juif ».

Dans les années suivantes, ces exilés seront remplacés par des centaines de milliers de Juifs venus essentiellement d’Europe et, surtout, du monde arabe.

La fin des combats ne signifie pas celle des expulsions. Non seulement l’armée israélienne traque et tue ceux des exilés qui tentent de revenir dans leurs foyers mais elle organise de nouvelles expulsions. C’est ainsi que plusieurs milliers d’habitants d’al-Majdal (renommée « Ashkelon » par les Israéliens) seront expulsés du territoire désormais devenu Israël entre décembre 1949 et l’automne 1950. Entre 1949 et 1951, 17.000 bédouins sont chassés du désert du Naqab (Néguev) vers la Jordanie et l’Égypte.[6] L’historien israélien Ilan Pappe mentionne des expulsions massives jusqu’en 1953. En 1956, le général Yitzhak Rabin fera encore expulser 700 personnes vers la Syrie. Et, en 1962, 750 membres de la tribu bédouine d’al-Hawashli seront embarqués dans des camions et conduits hors du pays.[7]

1967 : un nettoyage ethnique massif… mais incomplet… qui se poursuit

En juin 1967, l’armée israélienne conquiert le reste de la Palestine, le plateau syrien du Golan et le désert égyptien du Sinaï (seul ce dernier sera évacué et rendu à l’Égypte, par étapes, entre 1979 et 1982). Cette conquête s’accompagne à nouveau d’un nettoyage ethnique des populations arabes de ces territoires mais qui ne réussira qu’en partie : il sera quasi-total sur le plateau du Golan (110.000 expulsés sur un total de moins de 120.000 habitants) mais les Israéliens ne réussiront à forcer à l’exil « que » 100.000 exilés de 1948 et 200.000 habitants non exilés de Jérusalem-Est et de la Cisjordanie. Concernant la bande de Gaza, sur un total de 385.000 habitants, moins de 50.000 fuiront, seront chassés ou incités financièrement à partir.[8]

Même si, depuis lors, et continuellement, des milliers de Palestiniens seront encore contraints à l’exil par les autorités israéliennes sous divers prétextes, sur l’ensemble du territoire de la Palestine, désormais entièrement sous domination israélienne, la proportion de Palestiniens ne cessera d’augmenter au point de dépasser aujourd’hui légèrement la population juive.  

A défaut de pouvoir les expulser totalement de leur pays, les dirigeants israéliens refusent d’accorder des droits politiques aux Palestiniens des territoires conquis depuis 1967, même à ceux de Jérusalem-est, territoire pourtant annexé à Israël et leur rend la vie quotidienne de plus en plus insupportable.

En Cisjordanie, le morcellement du territoire consécutif aux accords d’Oslo de 1993, la poursuite de l’occupation militaire et de la colonisation, les destructions de bâtiments construits « illégalement », les déplacements forcés de Palestinien·nes au sein des territoires occupés et les entraves quotidiennes mises à leur circulation rendent la vie économique et sociale de plus en plus pénible. A quoi s’ajoute la répression implacable de toute forme de résistance et l’agressivité de plus en plus meurtrière - et impunie - des colons. Tout cela va pousser une petite minorité d’habitants qui en ont la possibilité à s’expatrier.

Le génocide des Gazaouis au service du nettoyage ethnique     

Après la prise du pouvoir par le Hamas à Gaza en 2007, les dirigeants israéliens décrètent que ce territoire, déjà sous blocus hermétique depuis le départ des colons juifs en 2005, devient une « entité hostile ». Les Gazaouis sont dès lors sévèrement rationnés en biens aussi indispensables que la nourriture, l’eau potable, les matériaux de construction, les équipement médicaux, les médicaments, les carburants et l’électricité. Ils seront aussi   régulièrement victimes de nombreux et meurtriers bombardements ainsi que d’incursions militaires terrestres tout aussi sanglantes.

En 2012, l’O.N.U. publie un rapport prédisant que si un tel blocus se poursuit, la vie y sera devenue impossible en 2020.[9]  Mais en 2017, Robert Piper, coordinateur des affaires humanitaires pour le territoire palestinien occupé, affirme dans un autre rapport[10] que les conditions de vie à Gaza sont déjà devenues invivables : 90 % des entreprises ont cessé leurs activités ; plus de 60 % des jeunes sont sans emploi ; plus de 96 % de l’eau est impropre à la consommation ; la distribution d’électricité oscille entre 4 et 8 heures par jour. Pour survivre, 80 % de la population dépend désormais de l’aide humanitaire fournie par l’O.N.U. ou par des organisations non gouvernementales.

L’opération armée menée par le Hamas le 7 octobre 2023 a servi de prétexte au gouvernement d’extrême droite, parvenu au pouvoir en décembre 2022, pour mettre en œuvre un plan visant, à terme, à vider la bande de Gaza de ses habitants palestiniens. Le génocide en cours, même s’il fait un nombre énorme de victimes, ne vise pas à massacrer ou à faire mourir de faim l’ensemble de la population de ce territoire. Il est l’épouvantable moyen utilisé pour provoquer le départ massif des survivant·es. Le premier ministre israélien ne s’en cache absolument pas.

Tout au long du combat que les dirigeants sionistes ont mené pour concrétiser leur projet d’établir puis de maintenir un « État juif » en Palestine, ils ont mis en pratique, à grande ou à petite échelle selon les circonstances, ce crime contre l’humanité que constitue le nettoyage ethnique des Palestinien·nes. Depuis octobre 2023, cette obsession de vider les territoires sous le contrôle d’Israël d’un maximum d’« Arabes » les a conduit, à Gaza, à perpétrer le pire des crimes de masse, un génocide, dont ils espèrent que les survivant·es finiront par se résigner à l’exil.   



[1] Yishouv : « peuplement » en hébreu.

[2] H. LAURENS, La Question de Palestine, Tome premier, Fayard, 1999, p. 219. 

[3] N. PICAUDOU, Les Palestiniens. Un siècle d’histoire, éd. Complexe, 2003, p. 23.

[4] I. PAPPE, Le nettoyage ethnique de la Palestine, Fayard, 2006, pp. 41 à 45.

[5] Palestine mandataire : Territoire palestinien sous « mandat » (protectorat) britannique, de 1920 à 1948.  

[6] H. LAURENS, op. cit., Tome 3, pp. 299-300.

[7] I.PAPPE, op. cit., p. 284.

[8] T. SEGEV, 1967, six jours qui ont changé le monde, Denoël, 2007, p.537.

[9] Gaza in 2020. A liveable place ? A report by the United Nations Country Team in the occupied palestinian territory, août 2012.

[10] Gaza Ten years later, United Nations Country Teams in the occupied palestinien territory, juillet 2017.

mardi 12 décembre 2023

Palestine/Israël : Une vie humaine vaut une vie humaine. D’accord ?

 Mise au point préalable : j’adresse ce billet aux personnes qui, quelles que soient leurs appartenances ethnoculturelles ou philosophiques, comme moi, sont attachées à ces valeurs fondamentales de la gauche politique que sont l’aspiration à l’égalité des droits et à la solidarité fraternelle entre tous les humains, dans l’esprit de la « Déclaration universelle des droits de l’Homme ».

Pas aux racistes de toutes obédiences. Passez votre chemin.

***************

En cette fin d’année 2023, l’émotion est à son comble chez ceux et celles qui, pour de multiples raisons, se sentent particulièrement concerné·es par ce qui se passe en Palestine/Israël. Depuis deux mois, le déchaînement de violences a dépassé tout ce qu’on a connu depuis la conquête par l’armée israélienne, en 1967, des territoires palestiniens qui n’étaient pas sous sa domination jusque-là.   

Je suis effrayé de constater que même parmi celles et ceux qui se targuent d’être des militant-e-s antiracistes et des défenseurs infatigables des droits humains se manifeste, sans doute sous le coup de l’émotion, une tendance au « repli communautaire », autrement dit à s’identifier soit aux Palestiniens (parce qu’arabes ou musulmans ?) soit aux Israéliens (parce que juifs ?) ; et de renoncer, souvent inconsciemment à considérer que toute vie humaine est précieuse au même titre, quelle que soit son appartenance ethnique ou religieuse.

Ainsi certaines personnes de gauche, sympathisant·es de la cause palestinienne refusent de condamner les massacres et enlèvements indiscriminés de civils (y compris d’enfants et de vieillards) perpétrés le 7 octobre dernier par des militants armés du Hamas et d’autres factions palestiniennes, estimant que, puisque la cause palestinienne est juste, toutes les formes de résistance sont admissibles ; que la fin (juste) justifie donc tous les moyens, sans exception.

Je ne suis absolument pas d’accord avec ça. Pour moi, aucune cause, aussi juste soit-elle, ne justifie jamais que des innocents soient délibérément sacrifiés. Ces moyens-là sont des crimes qui salissent gravement la cause qu’ils prétendent servir.

Qu’on me comprenne bien : je me permets ce jugement sur des ACTES que j’estime criminels  mais pas de donner des leçons de morale aux PERSONNES (dont la majorité n’a pas survécu) qui ont commis ces actes car je sais à quel point leur vécu personnel est éloigné du mien qui vit bien à l’abri en Belgique :  je ne subis pas un blocus infernal et interminable ; je ne manque de rien alors que les Gazaouis sont pour la plupart privés de biens aussi indispensables que d’eau potable, de nourriture variée et en suffisance, d’accès aux médicaments et aux soins de santé, d’électricité, de carburant, etc. Et, contrairement à l’ensemble des Gazaouis, je peux me déplacer librement. Les jeunes de la bande de Gaza, pour la plupart au chômage, n’ont aucune perspective d’une vie digne.

Je suis aussi très inquiet quand je constate que certain·es de mes ami·es juif·ves de gauche, pourtant sensibles aux souffrances des Palestiniens et résolument opposé·es aux politiques profondément discriminatoires menées à l’encontre de ceux-ci par les gouvernements israéliens successifs, semblent tout à coup éprouver plus d’empathie pour les victimes juives que palestiniennes. Cela s’est par exemple manifesté par le reproche de la part de quelques membres de l’UPJB que notre communiqué du 10 octobre ait mentionné autre chose que la condamnation des massacres de la population civile israélienne, alors que La population gazaouie était déjà victime de bombardements dévastateurs et que, la veille, Yoav Gallant, le ministre de la Défense israélien, avait annoncé l’imposition d’un « siège complet » à la bande de Gaza : « Pas d’électricité, pas d’eau, pas de nourriture, pas de gaz, tout est fermé ». « Nous combattons des animaux et nous agissons en conséquence ».

J’ai aussi été choqué quand j’ai constaté que l’appel de l’UPJB à rejoindre la manifestation du 11 novembre contenait la revendication de la libération de tous les otages (ce que je trouvais évidemment très bien) mais sans demander celle des prisonniers politiques palestiniens, alors qu’on savait à ce moment que, depuis le 7 octobre, au moins 1.400 Palestiniens des autres territoires occupés avaient déjà été arrêtés, en plus des 5.000 déjà emprisonnés, dont au moins un tiers de « prisonniers administratifs », c’est-à-dire détenus sans inculpation ni jugement. Pour moi, ces prisonnier·ères sont les otages de l’État d’Israël.

Je ne me considère ni comme « anti-israélien », ni comme « pro-palestinien ». Je suis partisan d’une paix juste entre Palestiniens et Israéliens, la seule qui puisse durer. Cela implique pour moi de me montrer solidaire de la lutte des Palestiniens pour le rétablissement de leurs droits à vivre dignement dans leur pays. C’est pourquoi je soutiens leur combat contre l’apartheid israélien. Mais cela n’implique pas pour moi de considérer que ce but juste justifie l’emploi de n’importe quel moyen. Restons humains.     

                                                                                                 Michel Staszewski  29/11/2023    

dimanche 19 novembre 2023

Des profs neutres ?

 Michel Staszewski

Article paru dans « Traces de changements » n° 262,
septembre – octobre 2023, pp. 18-19

Faut-il que les profs de l’enseignement officiel soient neutres ? Est-ce possible?

Comme tous les profs de l’enseignement officiel, à l’exception de ceux en charge des cours dits philosophiques, j’étais tenu de respecter un décret neutralité, celui qui concerne l’enseignement organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles1. On y lit notamment dans son article central : «Devant les élèves, il [le personnel de l’enseignement] s’abstient de toute attitude et de tout propos partisans dans les problèmes idéologiques, moraux ou sociaux, qui sont d’actualité et divisent l’opinion publique; de même, il refuse de témoigner en faveur d’un système philosophique ou politique (…)». Il apparait donc que, sous l’appellation de neutralité, ce qui est explicitement exigé des profs de l’enseignement organisé par les pouvoirs publics est de renoncer à toute forme de prosélytisme en faveur de leurs convictions personnelles.

Ceci ne m’a non seulement jamais mis dans l’embarras, mais constitue un principe déontologique auquel j’adhère. J’estime en effet que l’enseignement officiel, où j’avais délibérément choisi d’exercer mon métier, ayant vocation à accueillir l’ensemble de la population d’âge scolaire, n’a pas à prôner un choix idéologique particulier, si ce n’est une éthique générale basée sur la «Déclaration universelle des droits de l’Homme», que j’avais d’ailleurs affichée dans ma classe comme un texte de référence, souvent utilisé comme tel durant mes cours d’histoire. À cet égard, il est intéressant de noter que dans l’article correspondant (n° 5) du décret de 2003 il a été ajouté ceci : «Il [le personnel de l’enseignement] veille toutefois à dénoncer les atteintes aux principes démocratiques, les atteintes aux droits de l’Homme et les actes ou propos racistes, xénophobes ou révisionnistes.»

Une autre raison explique mon adhésion à cette interdiction faite aux profs de promouvoir leurs convictions personnelles auprès des élèves. En tant qu’adulte ayant en charge une partie de l’éducation d’enfants ou de jeunes et ayant le pouvoir de juger de leurs acquis, il m’apparait illégitime que les profs profitent de leur ascendant de fait pour tenter d’influencer idéologiquement leurs élèves.

Cacher ses opinions à ses élèves?

Si les textes des décretsneutralité me semblent non équivoques, beaucoup de membres du personnel enseignant, y compris des directions d’établissements ainsi que de nombreux élèves et parents d’élèves sont pourtant convaincus que ce qui est demandé aux enseignants est de faire abstraction de leurs opinions et de les cacher à leurs élèves, de manière à leur apparaitre non engagés, objectifs. Cela est-il possible? Est-ce souhaitable?

Je suis convaincu que les choix pédagogiques et didactiques, quels qu’ils soient, ne sont pas idéologiquement neutres. Qu’iel enseigne les mathématiques, une science, une langue, l’éducation physique ou toute autre discipline scolaire, un·e enseignant·e peut le faire de manière doctrinaire : «C’est comme ça parce que moi qui suis spécialiste de cette discipline je vous le dis; ça ne se discute pas». Iel peut au contraire s’efforcer de démontrer, par le raisonnement, le calcul, l’expérimentation, le caractère scientifique et donc vrai d’un savoir. Iel peut aussi choisir de faire connaitre aux élèves le caractère évolutif, provisoire des vérités scientifiques, leur histoire. Et accepter d’en débattre. Sur un autre plan, iel peut décider ou non d’accepter que puissent être discutées par ses élèves ses évaluations à enjeu certificatif de leurs acquis d’apprentissages ou ses décisions visant certains de leurs comportements qu’iel juge répréhensibles. À mes yeux, aucune de ces options déontologiques ne peut être qualifiée d’idéologiquementneutre.

Les élèves du secondaire ne sont d’ailleurs pas dupes. Observant les manières variables de se comporter des adultes de l’équipe éducative, les jeunes sont témoins chaque jour du fait que ces adultes ne portent pas toustes les mêmes valeurs. Cela est particulièrement évident quand leurs profs sont manifestement partagés quant à la participation à des actions de grève, ou plus ou moins favorables à la mise en place au sein de l’école d’institutions permettant aux élèves de s’exercer à la démocratie consultative (conseils de délégué·e·s de classe…).    

En certaines occasions, cette absence de neutralité se manifeste aussi au plus haut niveau de la hiérarchie scolaire. C’est ainsi qu’après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, l’ensemble des écoles secondaires de l’enseignement officiel ont reçu du ministère de l’Éducation l’injonction d’organiser, au même moment, trois minutes de silence en hommage aux victimes de ces attentats. J’ai, pour ma part, refusé d’obliger la classe qui m’était confiée à cette heure-là de se plier à cette directive, laissant le libre choix à chacun·e tout en annonçant qu’on en discuterait ensuite. Lors de ces échanges, plusieurs élèves ont manifesté leur étonnement, voire leur indignation que rien de tel n’avait été organisé lors d’autres évènements particulièrement dramatiques comme le génocide des Tutsis du Rwanda en 1994.

Un cours d’histoire neutre?

Comme tous mes collègues, j’étais tenu de respecter un programme établi sur base duréférentiel commun à l’ensemble des réseaux d’enseignement. Les référentiels et les programmes sont les résultats de choix qui ne peuvent pas être idéologiquement neutres. Il en est de même quant à l’usage qu’en font les enseignants.

C’est ainsi que, même si je tenais compte des thématiques et des concepts que le programme m’imposait, rien ne m’empêchait d’en privilégier certains et de les traiter à ma manière. Par exemple, convaincu de l’importance d’une formation en économie politique pour comprendre le fonctionnement de nos sociétés ainsi que de l’importance des facteurs économiques pour expliquer les évolutions et ruptures du cours de l’Histoire, je consacrais délibérément plus de temps que la plupart de mes collègues, au travers de situations ou d’évènements historiques choisis à cette fin, à l’apprentissage de concepts tels que : capitalisme, impérialisme, colonisation, crise de surproduction ou collectivisme.

On ne peut pas connaitre le passé tel qu’il fut

Persuadé que notre accès au passé de l’humanité ne peut être que partiel et partial, j’affichais en permanence dans ma classe la citation suivante, d’Albert D’Haenens, que j’utilisais comme matière à réflexion pour mes élèves : «L’histoire n’est pas donnée. L’imaginaire la construit, sur base de traces. »

Pour mettre en évidence le côté partiel de notre connaissance de faits du passé, quand je mettais mes élèves face à un problème à résoudre sur base d’une documentation, la formulation des questions posées commençait toujours par la formule : «d’après les documents dont vous disposez…»

Quant à l’aspect partial des appréhensions du passé, je le mettais en évidence en confrontant souvent les élèves à des documents faisant apparaitre des regards subjectifs contradictoires sur les situations ou évènements concernés.

Cacher sa relation personnelle à l’Histoire?

Poursuivant l’objectif — qui n’est pas neutre! — de contribuer à faire en sorte que les élèves qui m’étaient confiés se perçoivent comme acteurs potentiels, non seulement de leur destin personnel, mais aussi de leur environnement large, je veillais à ce qu’ils prissent conscience que leur histoire personnelle et familiale était reliée à lagrande histoire, que leur famille et eux-mêmes en étaient partie prenante.

C’est une des raisons pour lesquelles, quand le sujet s’y prêtait, je les incitais souvent à faire part en classe d’éléments de la culture ou de l’histoire de leur famille en corrélation avec les problèmes historiques étudiés. Et, quand je le jugeais approprié, je faisais de même, dévoilant ainsi une certaine implication de ma famille dans des évènements historiques. Il en était ainsi quand nous étudions la politique raciste du régime nazi. Je trouvais que les élèves avaient le droit de savoir que des proches de leur prof. avaient été victimes de cette politique et donc que, concernant ce sujet-là plus qu’un autre, il ne pouvait être considéré commeneutre.

Il en était de même quand était abordée une thématique liée aux croyances religieuses, telle que la crise de la chrétienté aux XVe et XVIe siècles ou la Philosophie des Lumières au XVIIIe siècle. Il arrivait toujours un moment où un·e élève me demandait si j’étais croyant ou à quelle religion j’adhérais. Je répondais à ces questions, sans m’attarder, mais franchement, estimant qu’iels avaient le droit de savoir où me situer en cette matière, d’autant plus que beaucoup d’élèves n’hésitaient pas à dévoiler leurs propres convictions.

Et quand un·e élève me demandait — ce qui arrivait souvent en sixième, car le cours s’y prêtait — la différence entre la gauche et la droite en politique, je me faisais un devoir, avant de rencontrer sa demande, de lui dire que j’allais tenter de lui répondre le plus objectivement possible, mais qu’iel avait le droit de savoir que, personnellement, je me situais plutôt à gauche.

Qu’iels le veulent ou non, les profs constituent des modèles ou des contremodèles marquants pour leurs élèves. Je considère comme une richesse d’un point de vue éducatif qu’au cours de leur carrièred’élève, les jeunes se retrouvent en présence d’adultes porteurs de valeurs différentes. 

1 Il s’agit du Décret définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté (1994). Les profs des autres réseaux de l’enseignement officiel sont soumis au Décret organisant la neutralité inhérente à l’enseignement officiel subventionné (2003), au contenu similaire.

samedi 3 juin 2023

"Palestiniens et Israéliens. DIRE L'HISTOIRE, déconstruire mythes et préjugés, ENTREVOIR DEMAIN"

 Ce livre, dont je suis l'auteur a été édité par les éditions du Cerisier en mai 2023. 

Son titre donne déjà une idée de son objet. Mais pour que vous puissiez vous faire une idée plus précise de son contenu, suivent :

- un extrait de l’introduction ;

- la table des matières détaillée.

 Il peut être obtenu dans n’importe quelle librairie ou directement chez l’éditeur, sans frais d’envoi : http://editions-du-cerisier.be/spip.php?rubrique27 . Prix : 18,80 €.

Bonne lecture… éventuelle. Vos retours m’intéressent.

 Michel Staszewski


Extrait de l’introduction

 

L’idée de ce livre est née des constats empiriques suivants :

- Dans le monde occidental, nombreuses sont les personnes qui, pourtant intéressées par le conflit israélo-palestinien, le trouvent compliqué et affirment ne pas y comprendre grand-chose.
- Ces mêmes personnes le perçoivent souvent comme insoluble.

J’estime au contraire que, même si sa très longue durée en fait une histoire pleine de péripéties et de rebondissements, il est tout à fait explicable. Et qu’il peut être résolu.

C’est ce que j’ai voulu prouver par le présent essai.

Déconstruire les mythes, en revenir aux faits

Je suis persuadé que l’impression de grande complexité, qui rend souvent ce conflit énigmatique aux yeux de bien des gens dans cette partie du monde, a comme cause majeure l’influence dominante dans les médias de masse d’une vision de celui-ci très marquée par le sionisme devenu l’idéologie officielle de l’État d’Israël. Du fait de cette prééminence idéologique, les faiseurs d’opinion font généralement passer pour légitime la prétention de l’État d’Israël à se vouloir « État juif », alors qu’environ 30 % des citoyens de cet État, dont 20% de Palestiniens, ne sont pas juifs. Et même comme « l’État des Juifs du monde entier », donc accueillant pour toutes les personnes considérées comme juives par cet État mais refusant le droit au retour des exilés et de leurs descendants. Ils parviennent à faire passer ces prétentions pour incontestables et indépassables ; et pour antisémites et adeptes de la « destruction d’Israël » ceux qui les remettent en question.

Ce « sionisme d’État » tend logiquement à promouvoir, avec un succès certain, une vision valorisante d’Israël et à justifier les décisions politiques de ses dirigeants, donc à édulcorer, passer sous silence, voire nier des réalités dérangeantes, en particulier les conséquences désastreuses pour l’ensemble des Palestiniens de l’obsession sioniste de faire tout pour que la citoyenneté israélienne soit réservée très majoritairement aux Juifs.

Pour appréhender correctement le conflit israélo-palestinien, il faut s’affranchir de cette vision-là et aller au plus près des faits. C’est pourquoi la majeure partie de cet essai est consacrée d’une part à la description concrète des conséquences de la mise en œuvre du projet sioniste pour les Palestiniens, d’autre part à la description et l’analyse critique de l’idéologie sioniste ainsi qu’à la déconstruction des mythes qu’elle véhicule. Des préjugés concernant les Juifs font également obstacle à une vision claire du conflit. Je me suis donc aussi attaqué à leur déconstruction. Pour déboucher finalement sur la recherche de solutions.

(…)

 

               Table des matières

 

INTRODUCTION

• Déconstruire les mythes, en revenir aux faits. . . . . . . . . . . . . 9

• L’impossible neutralité de l’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

• Structure de l’ouvrage. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

• Questions de vocabulaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

 

CHAPITRE 1

L’idéologie sioniste

• Définitions. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

• Fondements idéologiques du sionisme. . . . . . . . . . . . . . . . . 19

◦ Une vision particulière de l’histoire des Juifs justifie le projet sioniste. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

◦ Enjeux idéologiques contemporains de cette représentation de l’histoire des Juifs. . . . . . . . . . . 21

◦ Critique de la vision sioniste de l’histoire des Juifs. . . .22

◦ Les principales tendances du mouvement sioniste. . . . .24

• Les Juifs et le sionisme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

• L’idéologie sioniste peut-elle être qualifiée de raciste?. . . . . 33

 

CHAPITRE 2

Le sionisme mis en pratique (1880-1949)

La Première Alya . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

La Deuxième Alya . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

La Déclaration Balfour. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

La Troisième Alya. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43

La Quatrième Alya . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

Les émeutes de 1929 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

Le mouvement sioniste face à l’accession au pouvoir des nazis en Allemagne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

La Cinquième Alya. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
1936 - 1939 : La grande révolte des Arabes de Palestine. . . . . . 54

Le premier plan de partage de la Palestine. . . . . . . . . . . . . . . . 56

Le «livre blanc» (1939). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60

Le programme de Biltmore. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62

1945 - 1947. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64

Le plan de partage de l’ONU . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66

Du vote du plan de partage à l’expulsion

des Palestiniens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72

 

CHAPITRE 3

L’obsession sioniste de l’entre-soi

et ses conséquences pour les Palestiniens. . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

Les ennemis de l’intérieur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84

Le «grand remplacement». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89

Légalisation de la spoliation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91

«Loi du retour» contre «Droit au retour». . . . . . . . . . . . . . . . . 94

Israël, État juif. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96

Discriminations selon l’appartenance religieuse. . . . . . . . . . . . 98

Limitation des droits politiques des Palestiniens citoyens de l’État d’Israël. . . . . . . . . . . . . . . . 99

Discriminations socioéconomiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100

La loi sur les «comités d’admission». . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103

 

CHAPITRE 4

Israël au-delà de ses frontières de 1949. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

Pourquoi la «Guerre des six jours»?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

De la conquête militaire à la colonisation. . . . . . . . . . . . . . . . 110

Le laisser-faire international. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112

Le rôle des sionistes religieux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115

La politique des gouvernements israéliens. . . . . . . . . . . . . . . 119

Le complexe de Massada . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

 

CHAPITRE 5

Le sort des populations arabes

des territoires occupés depuis 1967. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125

1967 - 1987 : une administration militaire «éclairée»?. . . . . . 125

Résistance et répression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129

1987 - 1993 : la «Première Intifada» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132

Ce que le «processus d’Oslo» va changer pour les Palestiniens des territoires occupés. . . . . . . . . . . . . . 136

Entraves croissantes à la liberté de mouvement et «vol du temps» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140

Engrenage sanglant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144

La «barrière». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151

Après Sharon. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155

Des politiques d’occupation différenciées . . . . . . . . . . . . . . . 156

Jérusalem-Est . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156

Hébron. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161

La vallée du Jourdain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163

Le plateau du Golan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165

Bande de Gaza : une interminable descente aux enfers . . . . . 167

Période égyptienne et «Crise de Suez». . . . . . . . . . . . . . . 167

1967 - 1968 : pourquoi le nombre des habitants arabes de Gaza diminue-t-il?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168

1970 - 1972 : résistance et répression. . . . . . . . . . . . . . . . 170

Débuts de la colonisation juive. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171

Exploitation de la main-d’oeuvre salariée. . . . . . . . . . . . . 172

Quand Israël soutenait les islamistes. . . . . . . . . . . . . . . . . 173

Fermeture de la frontière égyptienne . . . . . . . . . . . . . . . . 174

La Première Intifada. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175

L’enfermement et ses conséquences sociales. . . . . . . . . . 177

La Deuxième Intifada. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178

Départ des colons. La bande de Gaza assiégée. . . . . . . . . 179

Fatah et Hamas : entre négociations et guerre civile. . . . . 180

Le Hamas au pouvoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183

Gaza, «entité hostile» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185

 

CHAPITRE 6

Déconstruire les mythes et les préjugés. . . . . . . . . . . . . . . . . . 193

Mythes sionistes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193

«Les Juifs du monde entier constituent

un seul peuple». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194

La «dispersion» des Juifs et leur constant

désir d’un «retour» dans leur patrie ancestrale. . . . . . . . . 195

L’antisémitisme est «éternel» et «inéradicable». . . . . . . . 196

Une «civilisation judéo-chrétienne»?. . . . . . . . . . . . . . . . 198

«Israël, État-refuge pour les Juifs». . . . . . . . . . . . . . . . . . 198

«Le peuple palestinien n’existe pas…». . . . . . . . . . . . . . . 200

«Faire fleurir le désert». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201

Mythes concernant les circonstances

de la création de l’État d’Israël. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203

«Les Arabes ne veulent pas la paix, mais la destruction de l’État d’Israël». . . . . . . . . . . . . . . . 206

Diabolisation du Hamas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209

«Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient». . . . . . 216

Préjugés concernant les Juifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219

Juif = adepte de la religion juive?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219

Confusion entre Juifs, Israéliens et sionistes. . . . . . . . . . . 221

Lobby juif? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222

«Israël dicte sa politique aux États-Unis». . . . . . . . . . . . . 227

La tentation négationniste. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230

À propos de «terrorisme». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237

«Terrorisme», un concept extensible. . . . . . . . . . . . . . . . . 240

Comment prévenir ou faire cesser les actions terroristes menées par des Palestiniens?. . . . . . . . . . . . . 243

 

CHAPITRE 7

Sortir de l’impasse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247

Apartheid à l’israélienne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247

La non-résolution du conflit israélo-palestinien exacerbe partout le racisme visant les Juifs,  les Arabes et les musulmans. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250

Le peuple palestinien ne renoncera pas à ses droits. . . . . . . . 251

L’angoisse entretenue des Juifs israéliens. . . . . . . . . . . . . . . . 252

Limites du sionisme de gauche. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254

L’initiative de Genève. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254

Lignes rouges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257

Une solution à deux États est-elle encore possible?. . . . . . . . 259

Quelle solution à un seul État?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261

Penser «binational». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261

«Droit au retour» et «Loi du retour». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263

Se réconcilier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264

L’immense responsabilité des États occidentaux . . . . . . . . . 265

L’action citoyenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267

 

Pour conclure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271

Des raisons de désespérer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271

Des raisons d’espérer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272

Combien de temps encore pour sortir de l’impasse? . . . . . . 274

 

Repères chronologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277

 

Glossaire/Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289

 

Pour en savoir plus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317

 

Cartes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323

 

mardi 28 mars 2023

Qui arrêtera le sixième gouvernement Netanyahu ?

 Article paru dans Le Drapeau rouge n° 97, mars avril 2023 pp. 10-11

Michel Staszewski 

Le gouvernement le plus à droite de toute l’histoire de l’État d’Israël

Fin décembre 2022, Benyamin Netanyahu a reconquis le poste de premier ministre pour la sixième fois malgré sa triple inculpation pour corruption, fraude et abus de confiance. Son parti, le Likoud, a en effet obtenu le plus grand nombre de sièges au parlement israélien et, pour y obtenir la majorité absolue, s’est allié avec les partis ultra-orthodoxes Shas et Judaïsme unifié de la Torah ainsi qu’avec trois partis de la droite sioniste religieuse la plus extrême (Force juive, Sionisme religieux et Noam) qui avaient présenté, pour l’élection législative du 1er novembre 2022, une liste commune dénommée Parti sioniste religieux. Il a ainsi pu former le gouvernement le plus à droite et le plus religieux de toute l’histoire de l’État d’Israël. Ce succès va sans doute lui permettre d’échapper, au moins pour un temps, à des condamnations judiciaires.

Itamar Ben Gvir, de Force juive, a obtenu le « Ministère de la sécurité nationale », ce qui signifie qu’il dirige désormais la police. Il s’est de plus vu attribué le contrôle de la « police des frontières » qui dépendait  jusqu’ici du Ministère de la Défense, ce qui étend son pouvoir de police aux territoires occupés. Ben Gvir est un admirateur de feu le rabbin Kahane qui professait la haine des Arabes et prônait leur expulsion de la « Terre d’Israël ». Le parti Kach, que celui-ci avait fondé, fut interdit en 1994 car considéré comme terroriste par le gouvernement israélien. Ben Gvir prône lui-même le transfert d’une partie de la population arabe israélienne, jugée déloyale, vers les pays voisins.

Bezalel Smotrich, le dirigeant de « Sionisme religieux », qui voudrait que les lois israéliennes soient basées sur la Torah et qui souhaite l’interdiction des partis « arabes » israéliens qui ne font pas allégeance à l’« État juif », a reçu le Ministère des finances et aussi le contrôle de l’«administration civile » (en réalité militaire) de la Cisjordanie.

Ces deux hommes, qui sont eux-mêmes des colons installés en Cisjordanie, sont partisans de l’annexion à Israël de l’ensemble de ce territoire. Pour ces sionistes religieux, la « Judée-Samarie » fait partie de la « Terre d’Israël », donnée par Dieu au « peuple d’Israël ». Les Juifs y auraient donc seuls le droit de s’y installer, les « Arabes » n’y étant « tolérés » qu’à condition d’accepter la suprématie juive.

La première des vingt « lignes directrices » de ce nouveau gouvernement stipule : « Le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur toutes les parties de la Terre d’Israël. Le gouvernement encouragera et développera l’expansion de la présence juive dans toutes les parties de la Terre d’Israël – en Galilée, dans le Néguev, dans le Golan et en Judée-Samarie ». Voilà qui est clair. Ce 12 février 2023, on apprenait que neuf nouvelles colonies « illégales » (selon le droit israélien) allaient être « légalisées ».    

Avigdor Maoz, du petit parti Noam devient vice-ministre et chef d'une nouvelle agence gouvernementale de l'"identité juive nationale" au sein du bureau du Premier ministre. Il est désormais responsable de l’immigration, des ONGs étrangères et a obtenu un droit de regard sur les programmes scolaires. Il partage avec Smotrich et Ben Gvir un virulent racisme anti-arabe et le rejet de l’homosexualité. La lutte contre les droits des personnes LGBTQI est pour lui une priorité.

Pour s’imposer, cette coalition a profité de la faiblesse des partis dits de la « gauche sioniste » et de la division des partis dits « arabes ». Le Meretz, seul parti sioniste opposé à l’occupation et à la colonisation des territoires conquis en 1967, n’a pas réussi à atteindre le seuil électoral de 3.25 %, nécessaire pour obtenir des élus. Il en a été de même pour le Balad (« Ligue démocratique nationale »), parti antisioniste dont la majorité des électeurs sont des Palestiniens.

Depuis des dizaines d’années, d’élection en élection, de plus en plus nombreux sont les Juifs israéliens qui votent pour les partis les plus favorables à la poursuite de la colonisation des territoires occupés depuis 1967 ou pour les partis ultra-orthodoxes, qui ne s’y opposent pas.   

Le nombre grandit de ceux d’entre eux qui adhèrent à la vision simpliste mais cohérente des sionistes religieux pour lesquels la « Terre d’Israël » a été donnée par Dieu aux Juifs et à eux seuls. Parmi les Juifs israéliens moins ou non religieux, le mythe du retour sur la terre de leurs ancêtres qui en auraient été chassés il y a plus de deux mille ans est généralement accepté comme une vérité historique légitimant la « recréation » d’un « État juif » sur la « Terre d’Israël ». Maintenus par le système éducatif et les médias dominants dans la peur terrible des « Arabes », ils sont de plus en plus nombreux à considérer que le maintien de l’occupation militaire et l’augmentation du peuplement juif de la Cisjordanie et de Jérusalem-est sont indispensables à la sécurité de la population juive israélienne.  

Que reste-t-il de la démocratie israélienne ?                 

Sur l’ensemble de la Palestine historique, entièrement sous le contrôle d’Israël depuis 1967, la population juive est aujourd’hui redevenue légèrement minoritaire. Si l’ensemble des habitants de ce territoire en âge de voter avait pu participer à l’élection, il est évident qu’une telle coalition n’aurait pu voir le jour. Mais seuls les Palestiniens détenteurs de la citoyenneté israélienne (environ 2.000.000 de personnes), qui ne constituent qu’un peu plus d’un quart des Palestiniens vivant sous la domination israélienne, possèdent ce droit. Les 5.500.000 Palestiniens vivant dans les territoires occupés (Cisjordanie, Gaza, Jérusalem-est) en sont privés et n’ont donc pas pu participer au vote le 1er novembre. Il en est évidemment de même pour les Palestiniens exilés et descendants d’exilés (plus de 6.000.000 de personnes).

L’État d’Israël n’est une démocratie que pour ses citoyens juifs. Selon la définition juridique internationalement acceptée de ce terme[1], c’est un État d’apartheid. C’est ce que la CESAO (Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale) a établi dans un rapport officiel publié en mars 2017.[2]  C’est aussi la conclusion à laquelle sont parvenues, en 2021, deux organisations non gouvernementales ayant pour objet la défense des droits humains, l’israélienne B’Tselem, et l’internationale Human Rights Watch. En février 2022, Amnesty International a publié un rapport qui parvient à la même conclusion.

Mais cette « démocratie pour les Juifs » est elle-même de plus en plus attaquée par la droite sioniste.

À cet égard, l’assassinat, en novembre 1995, d’Yitzhak Rabin, alors Premier ministre d’Israël, témoignait  d’une fracture profonde, et déjà ancienne, dans la société juive israélienne. Yigal Amir, son assassin était un jeune sioniste religieux, admirateur, comme Itamar Ben Gvir, de Baruch Goldstein, ce médecin juif originaire de New York qui avait massacré 29 musulmans en prière et en avait blessé 125 en février 1994. Il était de ceux qui considéraient que le « Processus d’Oslo », qui avait commencé en 1993, était contraire à la volonté de Dieu et que ceux qui le promouvaient, même juifs, méritaient la mort. Ces « fous de Dieu » pour lesquels la « volonté divine » telle qu’ils la concevaient devait prévaloir sur les choix démocratiques des citoyens israéliens, étaient déjà nombreux à l’époque. Leur poids numérique et politique a considérablement augmenté depuis.

Les Juifs opposés à l’occupation, à la colonisation des territoires occupés et au blocus de Gaza se sentent de moins en moins en sécurité en Israël. Les militant·e·s des ONGs israéliennes qui défendent les droits des Palestiniens sont non seulement menacé·e·s physiquement par les membres des partis sionistes les plus extrémistes mais encore, victimes de mesures légales décidées par le Parlement où la droite sioniste domine désormais. C’est ainsi qu’en 2016 fut votée une loi dont le but était de diminuer les ressources financières de telles associations sous prétexte que leurs subsides provenaient pour plus de moitié de l’étranger. C’était le cas, entre autres, de B’Tselem, le centre israélien d’information pour les droits de l’Homme dans les territoires occupés.

En Israël, la Cour suprême a le pouvoir d’empêcher l’entrée en vigueur d’une loi, pourtant votée par le Parlement, qui serait contraire aux Lois fondamentales de l’État d’Israël faisant office de constitution. La nouvelle majorité veut mettre fin à ce pouvoir en imposant une « clause dérogatoire » permettant de revoter une loi refusée par la Cour suprême sans que celle-ci puisse cette fois s’y opposer.

Ainsi, par exemple, le nouveau parlement vient de voter en urgence une loi autorisant une personne reconnue coupable d’un crime, mais pas condamnée à la prison ferme, à obtenir un portefeuille ministériel,  ceci pour permettre à Aryeh Deri, chef du parti ultra-orthodoxe Shas, de redevenir ministre alors qu’il a été récemment condamné avec sursis pour fraude fiscale.[3] Cette loi a été invalidée par la Cour suprême et Aryeh Deri, à peine nommé a dû renoncer à son poste… provisoirement car cette loi pourrait tout de même entrer en vigueur grâce à la « clause dérogatoire ».

Autre exemple : si les députés votaient une loi permettant d’annuler ou de suspendre pendant la durée de son mandat de premier ministre le procès de M. Netanyahu pour corruption, et que la Cour suprême invalidait ensuite ce vote, l’introduction de la « clause dérogatoire » permettrait de ne pas tenir compte de cette décision de justice.

Pour le quotidien israélien Haaretz, le mandat de Yariv Levin, le nouveau ministre de la Justice (membre du Likoud) est clair : « détruire l’État de droit, les institutions et tout le système » en donnant le droit au Parlement d’outrepasser la justice.

Et maintenant ?

Avec un tel gouvernement, il ne fait guère de doute que la situation des Palestiniens va encore empirer, non seulement celle de ceux qui vivent en territoire occupé et sont soumis à l’arbitraire de l’armée israélienne mais aussi celle de ceux qui disposent de la citoyenneté israélienne. Et il est certain qu’Iels résisteront à ce nouveau « tour de vis ». Ce qui engendrera une répression toujours plus féroce de la part de ceux qui restent les plus forts. Pour la majorité des Juifs israéliens, la peur engendrant le rejet  des « Arabes » ne fera que grandir. Un cycle infernal.

Seules de fortes pressions extérieures sur les dirigeants israéliens rendraient possible une sortie de cette impasse. Face à ce gouvernement d’extrême droite, les États qui, depuis la création de l’État d’Israël, ont été d’une complaisance extrême avec ses dirigeants malgré leur non-respect systématique du droit international vont-ils enfin changer leur fusil d’épaule ? Rien n’est moins sûr. Tout dépendra de la mobilisation de leurs opinions publiques. De nous tou·tes, donc.        

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[2] A la suite de pressions exercées par les représentants des États-Unis et d’Israël, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a fait déclassifier ce rapport. Ce qui a entraîné la démission de la secrétaire exécutive de la CESAO, Rima Khalaf.

[3] En 2000 déjà, reconnu coupable de corruption, il avait purgé près de deux ans de prison.