Madame
Ann Bodenstab Juge
de Paix
Présidente
du Bureau principal
du Canton électoral d’Ixelles
du Canton électoral d’Ixelles
Rue
Alphonse de Witte, 28
1050
Bruxelles
de la commune d'Auderghem
Concerne : Elections
régionale, fédérale et européenne du 25 mai 2014 / refus de voter par le
truchement du vote automatisé
Madame,
J’ai reçu, il y a peu,
ma convocation électorale. Pour la dixième fois (!), je suis mis dans
l’obligation d’exercer mon devoir d’électeur au moyen d’un système de vote
automatisé. Ce système prive les électeurs de toute possibilité de contrôle des
opérations électorales : il leur est impossible de lire ce qui se trouve
sur la carte magnétique qui leur est remise, ni avant ni après le vote et
ils ne peuvent savoir ce qui s’y trouvera indiqué après son passage dans l’urne
électronique. Il n’y a plus de dépouillement ; ce sont des machines qui
décodent les disquettes provenant des urnes électroniques.
Le législateur a confié la tâche de vérifier le bon fonctionnement des
élections aux présidents des bureaux de vote, aux assesseurs et aux témoins des
partis. Depuis l’introduction du vote électronique, aucune de ces personnes
n’est en mesure d’affirmer que tout s’est déroulé correctement, car ce sont des
machines qui opèrent, non pas sous leur contrôle mais sous celui d’experts en
informatique : si une machine tombe en panne, le président du bureau de
vote fait appel à un technicien d’une firme privée désignée à cet effet. Qui
peut affirmer qu’aucun vote ou décompte n’est perdu ou modifié lors de cette
intervention ?
Le législateur a bien décidé que des experts, désignés par
les assemblées parlementaires, surveilleraient l’ensemble des opérations
électroniques avant et pendant les élections. Mais dans leurs rapports
concernant chacune des élections précédentes, les experts désignés par les
divers parlements constataient que, dans la pratique, seuls les techniciens des
sociétés qui avaient installé les systèmes étaient en mesure de les contrôler
efficacement.
Mais même si ces experts contrôlaient vraiment les systèmes
informatiques utilisés, il n’en resterait pas moins que la grande masse des
électeurs se verrait toujours dépossédée de toute possibilité de contrôler
elle-même les élections. Et c’est bien là le fond du problème : avec le
vote électronique tel qu’il est organisé en Belgique, il n’y a plus de contrôle
citoyen des élections, ce qui est pourtant un principe de base de la démocratie
représentative.
Si on excepte le cas de l’Estonie qui
permet, sans obligation, le vote par Internet (ce qui empêche tout contrôle du
secret des votes), dans l’ensemble de l’Union européenne, la Belgique est le
seul Etat à s’obstiner dans la voie de l’automatisation des opérations
électorales (émission et comptabilisation des votes). Ailleurs, là où le vote électronique était à l'essai, les autorités ont abandonné
ou arrêté la progression du projet.
C’est ainsi qu’en Irlande les machines à voter, achetées il y a dix ans,
n’ont jamais été utilisées et ne le seront jamais. En Allemagne, en 2005, la
Cour constitutionnelle a déclaré illégal le système de scrutin imposé à près de
2 millions d’électeurs car il ne permet pas le contrôle des opérations
électorales par les électeurs. En Italie, toutes les
expérimentations ont été abandonnées suite au scandale qui a éclaté concernant
des manipulations malveillantes lors des opérations de totalisation automatisée
des votes en 2006 (des votes blancs auraient été transformés en vote
Berlusconi). En France le Ministère
de l'Intérieur recommande de ne plus investir dans les machines à voter et,
parmi la petite minorité de villes qui s'en étaient équipées (moins de 3 % des
électeurs étaient concernés), plusieurs ont renoncé à les utiliser. Au
Royaume-Uni et en Finlande, on a renoncé au vote électronique après des essais
jugés non concluants. Les Pays-Bas, seul Etat qui imposait le vote électronique
à une majorité de ses citoyens, y a définitivement renoncé en mai 2008.
En Belgique, un débat de fond a enfin été organisé au niveau fédéral en
juin 2008, après 17 années d’« expérimentation » du vote électronique.
A cette occasion, une majorité d’experts ont démontré à quel point le système
utilisé en Belgique depuis 1991 est inacceptable, principalement parce qu’il
rend les élections totalement incontrôlables par les citoyens-électeurs. Les
rapports des collèges d’experts désignés par les différents parlements ont, de
plus, relevé de nombreux incidents qui ont souvent retardé la disponibilité du
résultat de l'élection ; mais ils ne disent rien des incidents qui
auraient pu fausser les résultats sans être détectés.
Dans le rapport « BeVoting.
Etude des systèmes de vote électronique » rédigé par un consortium
d’universitaires à la demande des administrations fédérales et régionales et
rendu public en décembre 2007, on peut lire que le système électronique utilisé
en Belgique ne répond pas aux exigences du Conseil de l’Europe en la matière[1].
Plus loin, les auteurs concluent « que le vote électronique entièrement
automatisé ne convient pas - à l’heure actuelle - pour la Belgique »[2].
Le rapport de l’O.S.C.E. concernant
les élections de juin 2007 condamne également notre système à cause de son
manque de contrôlabilité.
Le matériel info rmatique
qui sera encore une fois utilisé le 25 mai dans 39 communes wallonnes et 17
communes bruxelloises (dont celles du canton d’Ixelles) est ancien et périmé :
dans la Région de Bruxelles-capitale, les machines les plus anciennes datent de
1994, les plus récentes de 1998. Prolonger la vie de ce vieux matériel coûte
cher et est extrêmement risqué.
A Saint-Gilles et à
Woluwé-Saint-Pierre et dans la majorité des communes flamandes, un système de
vote automatisé « hybride » (électronique avec tickets), commercialisé
par la société Smartmatic, sera utilisé pour la deuxième fois. L’électeur
effectuera son choix au moyen d’une machine à voter dotée d’un écran tactile.
Pour avoir accès à cette machine, l’électeur recevra une carte à puce (jeton)
servant de clef pour lui permettre d’exprimer son vote. Une fois celui-ci
confirmé, la machine imprimera un ticket reprenant le choix de l’électeur, lisible
par lui-même et un code à barres en deux dimensions (QR code), illisible pour
lui. Le votant devra ensuite scanner le code à barre de son ticket avant
d’introduire ce dernier dans une urne. La loi prévoit explicitement que la
partie lisible par tout un chacun des bulletins ne sera PAS utilisée pour
effectuer la comptabilisation : « La
partie dactylographiée sert uniquement à des fins de contrôle et d’audit »
(article 9, § 3). La loi prévoit seulement que l'électeur pourra, s’il le
souhaite, contrôler le contenu de ce code QR sur un autre ordinateur placé dans
le bureau de vote. Mais les citoyens,
qu’ils soient simples électeurs, témoins de partis, assesseurs ou présidents de
bureau de vote n’auront toujours aucun
moyen de contrôle sur la prise en compte, l'interprétation, la comptabilisation
et la totalisation de leurs votes.
Lors des élections fédérales, régionales et
européennes de juin 1999 et lors des élections communales d’octobre 2000, j’ai
rempli mon devoir électoral, comme je l’avais toujours fait auparavant (en
votant et en remplissant à de multiples reprises une fonction d’assesseur au
dépouillement), tout en remettant une lettre de protestation au président de
mon bureau de vote. Depuis 1999, le combat que je mène, avec d’autres citoyens,
contre ce déni de démocratie qu’engendre le vote automatisé tel qu’il est
actuellement pratiqué en Belgique a pris diverses autres formes : pétitions, actions en justice,
conférences, articles dans la presse, rédaction de lettres ouvertes aux
parlementaires et aux bourgmestres, rencontres de mandataires publics, interventions
dans des medias audiovisuels, etc. Sans succès jusqu’ici.
Pour
toutes ces raisons, cohérent avec moi-même, et plus que jamais soucieux de la
pérennité de notre démocratie représentative, dont les élections constituent, à
mes yeux, la pierre angulaire, et bien qu’il m’en coûte, je prends aujourd’hui
à nouveau la décision de marquer mon opposition résolue au vote électronique
tel qu’il est pratiqué en Belgique en refusant de voter de cette façon. Le jour
des élections, je me rendrai dans le bureau électoral où je suis censé remplir
mon devoir d’électeur. Après avoir constaté qu’on m’oblige une fois de plus à
voter par un moyen non démocratique puisque incontrôlable par les
citoyens-électeurs, je manifesterai mon refus de voter de cette manière au
Président du bureau de vote en refusant de le faire avec la carte magnétique
qu’il me présentera et je lui remettrai une copie de la présente lettre, en le
priant de l’annexer au procès verbal des opérations électorales qu’il a la
charge de rédiger. Je marquerai, de cette manière, mon attachement à notre
démocratie représentative et mon refus d’une procédure électorale qui banalise
le moment du choix de nos représentants politiques en déresponsabilisant les
citoyens.
Je
me réserve en outre le droit de rendre publique cette démarche à caractère
protestataire.
Je
vous prie de croire, Madame la Présidente, à l’expression de mes meilleurs
sentiments.
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