Article paru dans Points Critiques n° 345, avril 2014, pp. 28-29
Comme son nom l’indique, et même si on y trouve
aussi quelques autres types d’ouvrages (historiques, politiques, touristiques,…),
ce stand de la Foire du livre de Bruxelles, contient surtout des traductions
françaises d’œuvres littéraires d’auteurs israéliens. « Lettres
d’Israël » présente ainsi à ses visiteurs une belle image culturelle
d’Israël, celle d’un pays fier de la richesse et de la variété de sa production
littéraire. L’an dernier, j’y ai même remarqué un recueil de poèmes de Mahmoud
Darwich.
Pourtant, depuis cinq ans, à l’initiative de
quelques militants de la cause palestinienne (dont moi) et dans le cadre de la
campagne « BDS » (Boycott, désinvestissement, sanctions), une action
est régulièrement menée pour dénoncer l’existence même de ce stand.
Cette démarche est bien sûr condamnée par les opposants
à toute action dénonçant publiquement les agissements illégaux de l’État
d’Israël. Mais un certain nombre de personnes, pourtant critiques à l’égard de
la politique d’occupation et de discrimination menée par les dirigeants
israéliens et qui approuvent même parfois le principe de la campagne
« BDS », estiment elles-aussi ces actions inappropriées car visant
une manifestation qu’ils jugent « purement
littéraire ». « Pourquoi
boycotter des auteurs dont certains critiquent vivement certains aspects de la
politique menée par leur État ? » « Vous êtes contre la liberté d’expression ? »
Ces questions-objections témoignent d’une
méconnaissance du contexte politique et/ou du contenu précis, donc du sens de
ces actions. Voici donc des éléments d’explication.
Le contexte politique
Depuis sa
fondation, L’État d’Israël bafoue gravement le droit international. Alors que
plus de 800.000 Palestiniens (sur un total de 950.000) venaient de fuir ou d’être
chassés du territoire désormais israélien (78 % de la Palestine au lieu des 55
% prévus par le plan de partage de novembre 1947), la résolution 194 de
l’Assemblée générale de l’O.N.U. du 11 décembre 1948 stipula : « il y a lieu de permettre aux réfugiés qui
le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en
paix avec leurs voisins et (…) des indemnités doivent être payées à titre de
compensation pour les biens de ceux qui décident de ne pas rentrer dans leurs
foyers ». L’admission de l’État d’Israël à l’O.N.U. le 11 mai 1949 fut
également conditionnée au respect du droit au retour des exilés. Il n’en a rien
été.
Depuis 1967,
Israël occupe et colonise illégalement la Cisjordanie, Jérusalem-Est et le
plateau syrien du Golan. Depuis la conclusion des « Accords d’Oslo »
en 1993, cet État a multiplié les obstacles à la libre circulation des personnes
et des biens dans les territoires occupés et de ceux-ci vers l’extérieur,
empêchant ainsi toute vie sociale, économique et politique normale. L’enfermement
des Palestiniens des territoires occupés s’est considérablement aggravé depuis
la construction, à partir de 2002, d’une « barrière de sécurité », de
700 kilomètres de long, essentiellement bâtie à l’intérieur des territoires
occupés et, pour cette raison, condamnée par l'Assemblée générale de l’O.N.U. le 21 octobre 2003, par 144 voix pour et 4
contre.[
Israël arrête,
maltraite et détient arbitrairement des milliers de Palestiniens dont des
députés, des ministres et de nombreux mineurs d’âge. Cet État s’approprie sans
cesse des terres et détruit des maisons palestiniennes. Il rationne sévèrement
l’approvisionnement en eau des habitants palestiniens des territoires occupés. Il
assassine régulièrement des civils.
Depuis
2005, Israël soumet le million et demi
d’habitants de la bande de Gaza à un cruel et interminable blocus. L’opération
« Plomb durci » menée contre la bande de Gaza (décembre 2008 -
janvier 2009) a fait plus de 1.300 morts palestiniens, dont au moins 410
enfants (et 13 morts israéliens, dont 10 soldats). Le 15 septembre 2009, le Conseil des droits de
l’Homme des Nations Unies a publié le rapport d'une mission d'enquête dirigée
par le Sud-africain Richard Goldstone dans lequel l'armée israélienne est
accusée d'avoir commis des « actes
assimilables à des crimes de guerre et peut-être, dans certaines circonstances,
à des crimes contre l'humanité[] ».
Aujourd’hui, la
colonisation des territoires occupés ne cesse de s’accélérer. A l’intérieur du
territoire israélien, les Palestiniens, pourtant citoyens de l’État d’Israël,
continuent de subir de fortes discriminations à l’emploi, au logement et à
l’accès à la propriété. Les bédouins du désert du Neguev (Naqab) continuent à
être chassés de leurs villages et de leurs terres pour être regroupés de force
dans des « villes de peuplement ».
BDS
L’Union
européenne porte une lourde responsabilité dans la genèse et la persistance du
conflit israélo-palestinien : tout au long de son histoire, par son
inaction voire sa complaisance envers les actions illégales des dirigeants
israéliens, elle a permis que s’impose en Israël-Palestine la loi du plus fort.[1] Elle
pourrait pourtant facilement faire pression sur cet État car elle est, et de
loin, le principal partenaire économique d’Israël.
La
campagne « Boycott – Désinvestissement - Sanctions » a été lancée en 2005 par un appel signé par 172 associations
palestiniennes sur le modèle de la campagne
de boycott menée contre la politique d’apartheid régnant en Afrique du Sud dans
les années 1970 et 1980. Ce qui la justifie : l’absence d’initiatives
politiques aptes à faire respecter le droit international dans cette région du
monde.
Les
sanctions relèvent des États, le désinvestissement, des États, institutions et
sociétés privées. Quant aux actions
dites de « boycott », elles sont avant tout le fait des citoyen-ne-s.
Elles visent les produits « made in Israël » et ce ou ceux qui
représentent ou symbolisent l’Etat israélien. Elles ne ciblent pas les citoyens
israéliens qui ne représentent pas leur Etat. Ce sont des démarches
symboliquement fortes mais parfaitement pacifiques.
Les actions à la Foire du Livre
Elles se passent en trois temps :
1) la distribution à l’entrée de la Foire, durant une ou deux heures, d’un
tract. Son contenu : au recto, sous le titre « Bas les
masques ! » il dénonce le stand « Lettres d’Israël » comme
une habile opération de propagande visant à donner une image positive de l’Etat
d’Israël, à cacher ses crimes ; il rappelle succinctement le déni grave,
systématique et persistant des droits des Palestiniens par Israël ; il
appelle symboliquement au boycott de ce stand. Au verso, sont mentionnés une
douzaine d’ouvrages d’auteurs israéliens critiques (Burg, Eldar, Enderlin, Pape,
Raz-Krakotzkin, Reinhart, Sand, Shlaïm, Warschawski, Zertal) sous le titre
« Quelques livres d’auteurs
israéliens que vous ne trouverez pas au stand Lettres d’Israël ».
2) Les militants entrent ensuite dans
le bâtiment et viennent se placer, l’un à côté de l’autre, devant le stand
« Lettres d’Israël » en lui tournant le dos. La plupart portent un
t-shirt avec un des slogans suivants : « Israël occupe la Palestine, je boycotte » ou « Free Palestine » ou « Palestine vivra ». Ils restent
silencieux et ne bloquent pas l’accès au stand. Cette phase dure généralement environ
un quart d’heure (c’est le « seuil de tolérance » de la direction de
la Foire).
3) Les manifestants quittent les abords
du stand en file indienne et se mettent à déambuler lentement à travers la
Foire, toujours silencieusement, en continuant à arborer leurs t-shirt. Cette
dernière phase dure entre 15 et 30 minutes.
Les réactions du public à notre action sont très majoritairement positives.
J’espère que la description détaillée de cette action aura convaincu le lecteur qu’il ne s’agit pas ici d’inciter au boycott des œuvres des écrivains israéliens mais bien à celui d’un stand (aux couleurs bleue et blanche du drapeau israélien et dont l’adresse de contact qu’on trouve sur le site web de la Foire du Livre est celle de l’ambassade d’Israël) qui, sous couvert de littérature, fait la promotion habile d’un État qui mène de manière persistante une politique criminelle et qui a donc besoin de se « blanchir » aux yeux de l’opinion publique internationale.
La plupart des ouvrages présentés dans ce stand se retrouvent dans ceux de
leurs éditeurs ou distributeurs respectifs. Nous n’appelons bien sûr ni au
boycott de ces auteurs ni de leurs éditeurs et distributeurs !
[1] Cf. CRONIN D., Europe-Israël. Une alliance contre nature, La Guillotine,
2012 / HESSEL, S. et DE KEYSER,
V., Palestine,
la trahison européenne, Fayard, 2013.
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