Pour en finir avec le « par
cœur »
Texte initialement publié ici
Par Michel Staszewski, professeur d’histoire aux
deuxième et troisième degrés de l’enseignement secondaire
« Apprendre par
cœur » c’est s’arranger pour retenir, à très court terme, des informations
qui n’ont pas de sens pour celui ou celle qui les « enregistre ». Ces
informations (en histoire, cela peut être des définitions, la narration d’un
événement ou d’une situation, la description des causes ou des conséquences
d’un événement ou d’une situation,…) sont des « savoirs morts » :
ils ne font l’objet d’aucune appropriation réelle par les apprenants qui, ne
les ayant pas comprises, seront incapables de les réutiliser dans un autre
contexte ou de les relier logiquement à
un autre contexte… et les oublieront très vite. Cette non rétention durable de
ce type d’information s’explique aisément : parce qu’il n’a pas pris sens
pour un individu, il ne peut être correctement classé dans sa mémoire à long
terme. C’est comme si des milliers de livres (ou de cd, ou de dvd,…) étaient
disposés dans une bibliothèque ou une médiathèque sans aucun ordre
logique : impossible dès lors de s’y retrouver.
Ce type de pratique
n’est pas réservé au cours d’histoire. Il est
encore répandu dans toutes les disciplines scolaires. Et il n’a pour but que la réussite de
« contrôle des connaissances » (le plus souvent, de parties de ces
contrôles), qu’on peut obtenir sans avoir compris ces informations car il n’est
demandé que de les restituer.
Au début de ma carrière de professeur d’histoire, comme mes
collègues, j’ai été confronté à cette croyance malheureusement bien ancrée chez
de nombreux élèves, que l’on peut « réussir » des épreuves à valeur
certificative en apprenant laborieusement par cœur des choses qu’on ne comprend
pas. J’avais beau insister sur le fait
qu’on ne peut pas appeler cela apprendre, que ce type
d’« apprentissage » n’a aucun intérêt, qu’ils ne pourraient
d’ailleurs pas réussir de cette manière les épreuves que je leur imposerais, un
nombre important d’élèves s’obstinaient à « étudier par cœur », sans
comprendre.
Il m’a fallu du temps pour trouver une solution efficace à
ce problème. Je la pratique maintenant depuis de très nombreuses années. Elle
consiste tout simplement à permettre aux élèves, à tout moment, y compris durant
les épreuves certificatives quelles qu’elles soient, d’utiliser leurs notes personnelles, les documents
fournis par le professeur dans le cadre des cours, leur manuel et des ouvrages
de références mis à leur disposition (dictionnaires, atlas historiques, …). Une
seule exception à cette règle : dans le cadre d’un moment d’évaluation
diagnostique (donc sans but certificatif), les moments consacrés à faire
émerger les représentations mentales des élèves à propos d’un concept
(exemples : servage, loi de l’offre et de la demande, fascisme,…) ou d’un
événement ou d’un phénomène historique (exemples : Révolution
industrielle, Première Guerre mondiale, décolonisation,…).
Ce
changement n’aurait évidemment aucun intérêt si les activités demandées aux
élèves consistaient à rechercher des réponses toutes faites à des questions et
à les recopier. Il faut au contraire que, lors des moments consacrés aux
apprentissages, les questions ou problèmes posés les obligent à exercer les
compétences dont leur professeur veut favoriser l’appropriation, les amenant
ainsi à utiliser les outils à leur disposition comme des sources d’informations
à sélectionner et à organiser. Il en sera de même lors des épreuves
certificatives, à la différence qu’il ne s’agira pas ici de confronter les
élèves à de nouvelles compétences mais bien à celles qui auront déjà été
exercées, à plusieurs reprises, dans les moments d’apprentissage.
Pour
illustrer ce qui précède, voici un exemple de ce type d’activité. Il concerne
des élèves de quatrième secondaire.
Question à résoudre : La Belgique actuelle est généralement considérée
comme une démocratie. Pourtant le chef de l’Etat (le Roi) n’y est pas choisi
par le peuple. Comment expliquer ce paradoxe ?
Pour résoudre cette « situation-problème », les élèves
devront avoir compris les concepts de démocratie (et particulièrement le
sous-concept de souveraineté populaire), et savoir qu’en Belgique l’essentiel
du pouvoir politique n’appartient pas au roi, pourtant chef de l’État, mais
bien aux gouvernements et parlements fédéraux, régionaux et communautaires.
Mais la maîtrise de ces différents éléments ne suffit pas : encore faut-il
que les apprenants soient capables de les articuler dans un raisonnement
logiquement structuré du genre : « Bien qu’une des caractéristiques
essentielles de la démocratie soit que les dirigeants soient choisis,
directement ou indirectement, par les citoyens et que ce n’est pas le cas pour
le chef de l’État, on peut tout de même affirmer que la Belgique actuelle est
une démocratie car le Roi règne mais ne gouverne pas. Ce n’est pas lui qui
détient la réalité du pouvoir politique ». Comme lors de cet exercice ils
ont accès à leurs notes personnelles et à des ouvrages de référence (dont des
dictionnaires), rien ne les empêche de se référer aux définitions ou aux
exemples dont ils disposent. Mais pour produire une réponse sensée, ils seront
amenés à effectuer les opérations intellectuelles suivantes : rechercher
et trouver les informations pertinentes, les analyser, puis les relier logiquement
pour produire une synthèse répondant à la question posée. Ce qui implique une réelle
compréhension des concepts en jeu et la capacité à mobiliser des savoir-faire
pertinents (ex : utilisation judicieuse d’un dictionnaire).
Mon parti pris est donc de mettre les élèves en situation de résoudre
des problèmes complexes, les obligeant à faire preuve de compétence. Autrement
dit, pour résoudre ce genre de situation-problème, restituer des définitions de
concepts et exercer des savoir-faire ne suffisent pas. Il faut démontrer sa
capacité à utiliser des concepts et des savoir-faire à bon escient. Face à
cette complexité, les élèves doivent être aidés, selon leurs besoins. Ce que
permettent les dispositifs qui prévoient trois phases de travail
successifs : chaque élève fait d’abord face seul à la situation-problème.
Puis au bout d’un temps annoncé à l’avance, il se retrouve en sous-groupes de
pairs (de 2 à 4 personnes) dont les membres vont mettre en commun et confronter
leurs idées pour résoudre le problème en question. Enfin, le porte-parole de
chaque sous-groupe, désigné à l’avance, va faire part au groupe-classe de la
solution (écrite) proposée par son sous-groupe. S’en suivra, une discussion
générale, animée par le professeur, qui débouchera sur une correction
collective.
Au cours des deux premières phases de ces activités complexes, le
professeur se tient à la disposition des élèves en tant que
« personne-ressource ». Il peut intervenir de manière ciblée
(différenciée) auprès d’individus (première phase du travail) ou auprès de
sous-groupes (deuxième phase). Au cours de la troisième phase (mise en commun
au niveau du groupe-classe) son rôle change : s’appuyant sur les
propositions de solutions proposées par les porte-parole des différents
sous-groupes, il organisera les échanges avec le but d’encourager puis de
vérifier l’appropriation des concepts, des savoir-faire et des attitudes
intellectuelles visées par l’exercice.
Confrontés à ce type de tâches complexes, les élèves vont
inévitablement commettre des erreurs. Celles-ci doivent être considérées comme
des « outils pour enseigner »[1],
autrement dit comme des opportunités pour le professeur de comprendre les
origines des difficultés des élèves à réussir l’exercice en question et donc
d’en tirer des conclusions didactiques adaptées (au vu de l’erreur commise,
comment aider spécifiquement cet élève ou ce sous-groupe d’élèves ?).
D’où l’importance de bien séparer les moments d’apprentissage (qui
doivent occuper l’essentiel du temps scolaire), durant lesquels aucune erreur
de ne peut être sanctionnée, des moments (beaucoup plus rares) à valeur
certificative, durant lequel le professeur quittera sa fonction d’aidant pour
endosser le rôle d’examinateur.
On trouvera de nombreux exemples de cette manière de faire dans B. REY
et M. STASZEWSKI, Enseigner l’histoire aux adolescents. Démarches
socio-constructivistes, de Boeck, 2010.
[1]
Cf. ASTOLFI J.-P., L’erreur, un outil
pour enseigner, coll. Pratiques et enjeux pédagogiques, ESF, 1997
Merci pour cet article sage et humain.
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