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vendredi 26 août 2016


Pour en finir avec le « par cœur » 
Texte initialement publié ici
 

Par Michel Staszewski, professeur d’histoire aux deuxième et troisième degrés de l’enseignement secondaire 

 « Apprendre par cœur » c’est s’arranger pour retenir, à très court terme, des informations qui n’ont pas de sens pour celui ou celle qui les « enregistre ». Ces informations (en histoire, cela peut être des définitions, la narration d’un événement ou d’une situation, la description des causes ou des conséquences d’un événement ou d’une situation,…)  sont des « savoirs morts » : ils ne font l’objet d’aucune appropriation réelle par les apprenants qui, ne les ayant pas comprises, seront incapables de les réutiliser dans un autre contexte ou de les relier logiquement  à un autre contexte… et les oublieront très vite. Cette non rétention durable de ce type d’information s’explique aisément : parce qu’il n’a pas pris sens pour un individu, il ne peut être correctement classé dans sa mémoire à long terme. C’est comme si des milliers de livres (ou de cd, ou de dvd,…) étaient disposés dans une bibliothèque ou une médiathèque sans aucun ordre logique : impossible dès lors de s’y retrouver.  

Ce type  de pratique n’est pas réservé au cours d’histoire. Il est  encore répandu dans toutes les disciplines scolaires.  Et il n’a pour but que la réussite de « contrôle des connaissances » (le plus souvent, de parties de ces contrôles), qu’on peut obtenir sans avoir compris ces informations car il n’est demandé que de les restituer.  

Au début de ma carrière de professeur d’histoire, comme mes collègues, j’ai été confronté à cette croyance malheureusement bien ancrée chez de nombreux élèves, que l’on peut « réussir » des épreuves à valeur certificative en apprenant laborieusement par cœur des choses qu’on ne comprend pas. J’avais beau insister sur le fait  qu’on ne peut pas appeler cela apprendre, que ce type d’« apprentissage » n’a aucun intérêt, qu’ils ne pourraient d’ailleurs pas réussir de cette manière les épreuves que je leur imposerais, un nombre important d’élèves s’obstinaient à « étudier par cœur », sans comprendre.  

Il m’a fallu du temps pour trouver une solution efficace à ce problème. Je la pratique maintenant depuis de très nombreuses années. Elle consiste tout simplement à permettre aux élèves, à tout moment, y compris durant les épreuves certificatives quelles qu’elles soient, d’utiliser leurs notes personnelles, les documents fournis par le professeur dans le cadre des cours, leur manuel et des ouvrages de références mis à leur disposition (dictionnaires, atlas historiques, …). Une seule exception à cette règle : dans le cadre d’un moment d’évaluation diagnostique (donc sans but certificatif), les moments consacrés à faire émerger les représentations mentales des élèves à propos d’un concept (exemples : servage, loi de l’offre et de la demande, fascisme,…) ou d’un événement ou d’un phénomène historique (exemples : Révolution industrielle, Première Guerre mondiale, décolonisation,…). 

Ce changement n’aurait évidemment aucun intérêt si les activités demandées aux élèves consistaient à rechercher des réponses toutes faites à des questions et à les recopier. Il faut au contraire que, lors des moments consacrés aux apprentissages, les questions ou problèmes posés les obligent à exercer les compétences dont leur professeur veut favoriser l’appropriation, les amenant ainsi à utiliser les outils à leur disposition comme des sources d’informations à sélectionner et à organiser. Il en sera de même lors des épreuves certificatives, à la différence qu’il ne s’agira pas ici de confronter les élèves à de nouvelles compétences mais bien à celles qui auront déjà été exercées, à plusieurs reprises, dans les moments d’apprentissage.  

Pour illustrer ce qui précède, voici un exemple de ce type d’activité. Il concerne des élèves de quatrième secondaire. 

Question à résoudre : La Belgique actuelle est généralement considérée comme une démocratie. Pourtant le chef de l’Etat (le Roi) n’y est pas choisi par le peuple. Comment expliquer ce paradoxe ?

Pour résoudre cette « situation-problème », les élèves devront avoir compris les concepts de démocratie (et particulièrement le sous-concept de souveraineté populaire), et savoir qu’en Belgique l’essentiel du pouvoir politique n’appartient pas au roi, pourtant chef de l’État, mais bien aux gouvernements et parlements fédéraux, régionaux et communautaires. Mais la maîtrise de ces différents éléments ne suffit pas : encore faut-il que les apprenants soient capables de les articuler dans un raisonnement logiquement structuré du genre : « Bien qu’une des caractéristiques essentielles de la démocratie soit que les dirigeants soient choisis, directement ou indirectement, par les citoyens et que ce n’est pas le cas pour le chef de l’État, on peut tout de même affirmer que la Belgique actuelle est une démocratie car le Roi règne mais ne gouverne pas. Ce n’est pas lui qui détient la réalité du pouvoir politique ». Comme lors de cet exercice ils ont accès à leurs notes personnelles et à des ouvrages de référence (dont des dictionnaires), rien ne les empêche de se référer aux définitions ou aux exemples dont ils disposent. Mais pour produire une réponse sensée, ils seront amenés à effectuer les opérations intellectuelles suivantes : rechercher et trouver les informations pertinentes, les analyser, puis les relier logiquement pour produire une synthèse répondant à la question posée. Ce qui implique une réelle compréhension des concepts en jeu et la capacité à mobiliser des savoir-faire pertinents (ex : utilisation judicieuse d’un dictionnaire). 

Mon parti pris est donc de mettre les élèves en situation de résoudre des problèmes complexes, les obligeant à faire preuve de compétence. Autrement dit, pour résoudre ce genre de situation-problème, restituer des définitions de concepts et exercer des savoir-faire ne suffisent pas. Il faut démontrer sa capacité à utiliser des concepts et des savoir-faire à bon escient. Face à cette complexité, les élèves doivent être aidés, selon leurs besoins. Ce que permettent les dispositifs qui prévoient trois phases de travail successifs : chaque élève fait d’abord face seul à la situation-problème. Puis au bout d’un temps annoncé à l’avance, il se retrouve en sous-groupes de pairs (de 2 à 4 personnes) dont les membres vont mettre en commun et confronter leurs idées pour résoudre le problème en question. Enfin, le porte-parole de chaque sous-groupe, désigné à l’avance, va faire part au groupe-classe de la solution (écrite) proposée par son sous-groupe. S’en suivra, une discussion générale, animée par le professeur, qui débouchera sur une correction collective.  

Au cours des deux premières phases de ces activités complexes, le professeur se tient à la disposition des élèves en tant que « personne-ressource ». Il peut intervenir de manière ciblée (différenciée) auprès d’individus (première phase du travail) ou auprès de sous-groupes (deuxième phase). Au cours de la troisième phase (mise en commun au niveau du groupe-classe) son rôle change : s’appuyant sur les propositions de solutions proposées par les porte-parole des différents sous-groupes, il organisera les échanges avec le but d’encourager puis de vérifier l’appropriation des concepts, des savoir-faire et des attitudes intellectuelles visées par l’exercice.   

Confrontés à ce type de tâches complexes, les élèves vont inévitablement commettre des erreurs. Celles-ci doivent être considérées comme des « outils pour enseigner »[1], autrement dit comme des opportunités pour le professeur de comprendre les origines des difficultés des élèves à réussir l’exercice en question et donc d’en tirer des conclusions didactiques adaptées (au vu de l’erreur commise, comment aider spécifiquement cet élève ou ce sous-groupe d’élèves ?).  

D’où l’importance de bien séparer les moments d’apprentissage (qui doivent occuper l’essentiel du temps scolaire), durant lesquels aucune erreur de ne peut être sanctionnée, des moments (beaucoup plus rares) à valeur certificative, durant lequel le professeur quittera sa fonction d’aidant pour endosser le rôle d’examinateur.   

On trouvera de nombreux exemples de cette manière de faire dans B. REY et M. STASZEWSKI, Enseigner l’histoire aux adolescents. Démarches socio-constructivistes, de Boeck, 2010.   


[1] Cf. ASTOLFI J.-P., L’erreur, un outil pour enseigner, coll. Pratiques et enjeux pédagogiques, ESF, 1997

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