Ce texte a été
publié sous le titre Faut-il supprimer
les cours de religion à l’école ? Oui ! dans le
dossier « Belges et musulman-e-s : le défi de l’inclusion » -
dont je vous recommande la lecture – paru dans le
n° 102 de la revue Politique
Au moment où j’écris (août 2017), l’organisation des cours dits « philosophiques » est en train de changer dans l’enseignement officiel (public). Si le « Pacte scolaire » de 1959 impose toujours aux écoles des réseaux publics d’offrir le choix entre différents cours, l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 mars 2015 oblige désormais ces écoles à accorder une dispense de tout cours de religion ou de morale laïque sur simple demande d’un élève (s’il est majeur) ou de ses parents[1]. Ceci a eu pour conséquence, après l’instauration, dans l’urgence, d’un éphémère « encadrement pédagogique différencié » (rapidement surnommé ironiquement « cours de rien »), la création d’un nouveau cours « de philosophie et de citoyenneté » (CPC), obligatoire pour tous, de la première primaire à la sixième secondaire, à raison d’une période (cinquante minutes) par semaine. Cette période doit remplacer une des deux périodes de cours philosophique pour tous les élèves inscrits à l’un de ces cours. Quant aux élèves dispensés de cours philosophique, ils se voient imposer le cours de CPC à raison de deux périodes par semaine. Cette nouvelle organisation est entrée en vigueur dans l’enseignement primaire en septembre 2016. C’est aussi le cas dans le secondaire au moment où vous lisez ces lignes puisque la date choisie pour ce niveau d’enseignement était le mois de septembre 2017.[2]
Dès le début de l’année scolaire 2016-2017, Caroline Sägesser tirait
un premier bilan, catastrophique, de l’instauration du cours de CPC dans
l’enseignement primaire[3] :
problèmes d’organisation horaire quasi inextricables (voir plus loin),
difficulté de trouver des professeurs ayant le titre requis, problèmes liés au
fait qu’il avait été initialement demandé aux enseignants concernés de choisir
de devenir soit professeur de CPC soit de demeurer professeur de religion ou de
morale non confessionnelle. Puis, pour permettre aux enseignants de
conserver des horaires complets, ceux-ci ont ensuite été autorisés à exercer
les deux fonctions à condition que ce soit dans des établissements scolaires
différents. Mais comme cette disposition se révéla elle aussi trop difficile à
mettre en œuvre, des professeurs furent finalement autorisés à donner les deux
cours dans le même établissement, à condition que cela soit dans des classes
différentes. Il n’en reste pas moins que durant l’année scolaire écoulée, des
professeurs concernés par cette réforme ont parfois dû se partager entre plus
de dix implantations différentes. Pour l’année scolaire 2017-2018, la Ministre
s’est engagée à ce que ce nombre soit limité à un maximum de six.
Casse-tête organisationnel
Quand le Pacte
scolaire fut conclu, seuls trois cultes (catholique, protestant et israélite)
étaient « reconnus ». Les écoles de l’enseignement officiel ne
devaient donc organiser « que » quatre cours philosophiques
différents.
Ont été
« reconnus » depuis lors, les
religions orthodoxe, islamique et anglicane[4]. Avec le cours de CPC à
deux périodes par semaine, les écoles officielles seraient donc susceptibles de
devoir organiser, en plus du cours de CPC à une heure, désormais obligatoire
pour tous, jusqu’à huit cours différents, en principe simultanément pour éviter
aux élèves des heures « de fourche ». Outre le fait que cela coûterait de plus en plus cher à la
collectivité (puisque toutes les écoles officielles sont tenues d’instaurer un
cours « philosophique » ou un cours de CPC à deux heures/semaine, même
s’il n’est demandé que pour un seul élève), l’offre en parallèle de tant de
cours différents posent des problèmes d’organisation de plus en plus
insolubles. Ces deux seules raisons suffisent à disqualifier ce système.
Mais d’autres raisons, plus fondamentales à mes yeux, devraient
conduire à abandonner les cours philosophiques « à la carte ». Et
aussi le cours de CPC.
Apprendre le « vivre ensemble » à l’école
L’École constitue
aujourd’hui, pour la quasi-totalité de la population un passage obligé, du
préscolaire au secondaire. Elle est devenue une institution-clé de toute
société démocratique. Et, contrairement à ce qui se passe dans le monde
associatif où les personnes se trouvent réunies en fonction de leurs affinités
(communauté de centres d’intérêts ou d’opinions, mêmes origines géographiques,
groupes d’entraide réunissant des personnes affrontant le même type de
difficultés…), les écoles, au moins celles qui appartiennent aux différents
réseaux publics, font se fréquenter sur le long terme des enfants et des jeunes
qui ne sont pas réunis sur base de leurs goûts, opinions ou appartenances
culturelles. Elles constituent par conséquent des mini-sociétés où peut
s’expérimenter le « vivre-ensemble ». Si cette expérience se passe
mal, c’est-à-dire si les élèves vivent comme une épreuve désagréable, voire
douloureuse la fréquentation quotidienne d’autres élèves – et de professeurs –
issus de « mondes » différents, cela laisse mal augurer de la
manière dont ils appréhenderont ensuite le monde « du dehors ». Dans
les écoles publiques, qui sont censées accueillir tous les élèves sans
discrimination, la reconnaissance du fait multiculturel devrait, à mon sens,
passer par des actes concrets posés par l’institution scolaire. Exemples :
acceptation d’éléments vestimentaires témoignant d’appartenances ethniques ou
philosophico-religieuses minoritaires (hormis ceux qui relèveraient
d’idéologies fascistes ou racistes, manifestement contraires aux valeurs
démocratiques qui sont au fondement de l’École publique) ; prise en
compte, dans la mesure du possible et en fonction du contexte local, des
demandes des parents d’élèves en matière alimentaire dans les cantines
scolaires ; aménagement du calendrier scolaire pour tenir compte des
absences pour raisons religieuses quand elles concernent un grand nombre
d’élèves de l’école concernée. Ces éléments constitueraient des signes
indéniables d’ouverture à la diversité ethnique ou philosophique susceptibles
de faire en sorte que les élèves issus de minorités se sentent acceptés
tels qu’ils sont.
Mais si l’École publique doit prendre en compte la diversité culturelle des élèves qu’elle accueille en le manifestant concrètement, cela ne doit pas être au prix du renoncement à ses missions d’enseignement et d’éducation.
Mais si l’École publique doit prendre en compte la diversité culturelle des élèves qu’elle accueille en le manifestant concrètement, cela ne doit pas être au prix du renoncement à ses missions d’enseignement et d’éducation.
Chapelles idéologiques
J’estime qu’il relève des missions de l’école
publique d’initier les enfants et les adolescent-e-s au questionnement
philosophique (les notions de vérité, de sacré, le sens de la vie, l’amour, la
mort, les règles de vie en société, les questions éthiques…) et de les instruire
des réponses proposées à ces questions par les principales options
philosophiques et religieuses. Ce qui n’est pas le cas jusqu’ici parce que
l’état des choses instauré par le Pacte scolaire ne favorise nullement les
comparaisons et donc la réflexion personnelle des enfants et des jeunes à
propos de ces questions : le fait de séparer les élèves et de les confiner
dans des « chapelles » idéologiques choisies une fois par an par
leurs parents (ou par eux-mêmes quand ils et elles deviennent majeur-e-s)
favorise au contraire l’endoctrinement, d’autant plus que les enseignants
chargés de ces cours, à la différence de leurs collègues, ne sont pas soumis à
l’exigence légale de « neutralité » (interdiction de toute forme de
prosélytisme)[5].
Cette séparation me semble aussi propice à une certaine forme de repli
communautaire.
Le cours de philosophie et de citoyenneté
L’introduction d’une heure obligatoire pour tous de
CPC tout en maintenant le droit de choisir, pour une période de cours par
semaine, un des cours philosophiques m’apparaît comme une demi-mesure non
seulement ingérable d’un point de vue organisationnel (comme expliqué ci-avant)
mais, de plus tout à fait inadéquate en regard des objectifs qu’il est censé
poursuivre.
Tout d’abord parce que tous les cours philosophiques ainsi que le cours de CPC pour les élèves (ou leurs parents) ayant opté pour un des cours « philosophiques » seront réduit à une période (cinquante minutes) par semaine. Une durée beaucoup trop courte pour permettre la mise en œuvre de dispositifs didactiques rendant possible pour les élèves des questionnements philosophiques dignes de ce nom[6].
Tout d’abord parce que tous les cours philosophiques ainsi que le cours de CPC pour les élèves (ou leurs parents) ayant opté pour un des cours « philosophiques » seront réduit à une période (cinquante minutes) par semaine. Une durée beaucoup trop courte pour permettre la mise en œuvre de dispositifs didactiques rendant possible pour les élèves des questionnements philosophiques dignes de ce nom[6].
Je m’interroge aussi sur l’intitulé de ce
cours : pourquoi le nommer cours « de philosophie ET de
citoyenneté » ? L’initiation au questionnement philosophique ne
contribue-t-il pas à la formation citoyenne ? Les programmes de ce cours
pour le secondaire sont pourtant explicites sur ce point ; dans le
paragraphe consacré aux objectifs du CPC, on peut lire qu’il « articule la démarche philosophique aux
enjeux et à la pratique de la citoyenneté » et qu’il a pour objectif
« de former aux différents enjeux de la citoyenneté ».
Mais il faut par ailleurs noter que le Décret relatif à l’organisation de ce nouveau cours lui assigne des objectifs de formation qui, s’ils concernent la formation citoyenne, ne ressortissent pas du domaine de la philosophie [7]. Exemples : « la connaissance de notre démocratie : les normes et sources de droit, les droits fondamentaux des personnes, les différents pouvoirs, l’organisation des institutions » ; « la formation aux dimensions politique, sociale, économique, environnementale et culturelle de la citoyenneté, tant sur le plan local que global » ; « la connaissance des grands enjeux et débats des sociétés contemporaines » ; « la connaissance de la communication et des différents moyens d’information (…) » ; « la participation à des activités liées à la démocratie scolaire ou locale ». A la lecture de ce Décret et des programmes qui en découlent [8], on peut en fait constater que les objectifs d’apprentissages dévolus à ce cours, que sa durée soit d’une ou de deux périodes par semaine, sont démesurés en regard du peu de temps qui lui est accordé dans l’horaire de travail des élèves. Qui trop embrasse…
Mais il faut par ailleurs noter que le Décret relatif à l’organisation de ce nouveau cours lui assigne des objectifs de formation qui, s’ils concernent la formation citoyenne, ne ressortissent pas du domaine de la philosophie [7]. Exemples : « la connaissance de notre démocratie : les normes et sources de droit, les droits fondamentaux des personnes, les différents pouvoirs, l’organisation des institutions » ; « la formation aux dimensions politique, sociale, économique, environnementale et culturelle de la citoyenneté, tant sur le plan local que global » ; « la connaissance des grands enjeux et débats des sociétés contemporaines » ; « la connaissance de la communication et des différents moyens d’information (…) » ; « la participation à des activités liées à la démocratie scolaire ou locale ». A la lecture de ce Décret et des programmes qui en découlent [8], on peut en fait constater que les objectifs d’apprentissages dévolus à ce cours, que sa durée soit d’une ou de deux périodes par semaine, sont démesurés en regard du peu de temps qui lui est accordé dans l’horaire de travail des élèves. Qui trop embrasse…
Je crains également qu’un des effets pervers de
cette réforme sera de déresponsabiliser les autres enseignants et les
directions d’école quant à la formation citoyenne des élèves puisqu’un cours
sera désormais prévu pour cela. Le Décret « Missions » de juillet
1997 a pourtant fait de l’éducation à la citoyenneté responsable un des quatre
objectifs généraux valables pour l’ensemble de la scolarité obligatoire et pour tout l’enseignement
organisé ou subventionné par l’État [9]. Et le Décret
« Citoyenneté » de 2007[10] établit non seulement la « mise en place d'activités
interdisciplinaires pour une citoyenneté responsable et active »
(Titre III) mais aussi des « structures
participatives pour les élèves », ceci depuis la cinquième année
primaire (Titre IV).
L’éducation à la citoyenneté ne devrait pas être
confinée dans une partie d’un cours d’une ou deux périodes par semaine, mais
plutôt faire partie du projet éducatif de chaque établissement scolaire et
prise en compte non seulement dans chaque cours mais aussi dans l’organisation
générale de l’école (réunions de classe, délégués de classe, conseil des
délégués, projets « citoyens » interdisciplinaires…).
Pour un seul cours de philosophie
Je suis
convaincu que si l’on veut que l’école publique devienne un lieu qui favorise vraiment
l’apprentissage positif du « vivre-ensemble » dans une société
multiculturelle telle que la nôtre, il faut non seulement que les écoles
adoptent des mesures symboliques (plus de liberté en matière d’habillement) et
pratiques (aménagements concernant la nourriture et les congés scolaires) pour
accueillir vraiment la diversité
culturelle en leur sein, mais qu’il faut aussi en finir avec les « cours
philosophiques » multiples tels qu’ils ont été imposés par le Pacte
scolaire depuis 1959.
La séparation des élèves en fonction de leurs
affiliations philosophiques ou celles de leurs parents pour les initier au
questionnement philosophique me paraît contreproductif au regard de l’objectif
de l’apprentissage du « vivre-ensemble ». Ma proposition est donc que
les « cours philosophiques », soient remplacés par un cours unique
(le même pour tous), non partisan, d’initiation aux questions et aux principaux
courants philosophiques. Ce cours dont le but principal serait de nourrir la quête
identitaire de tous les jeunes par l’examen comparé des réponses que les
différents systèmes philosophiques, religieux ou non, apportent aux questions
existentielles qu’ils et elles se posent forcément, aurait un-e
titulaire formé-e à la didactique de la philosophie. Contrairement aux
professeurs chargés d’un des « cours philosophiques » tels qu’ils ont
été institués par le Pacte scolaire, il ou elle serait, comme tous ses
collègues, soumis-e aux décrets sur la « neutralité » de
l’enseignement[11].
Ce qui n’empêcherait pas qu’interviennent, dans le cadre de ce cours unique, au
moins dans le secondaire, des personnes, non seulement spécialistes d’un
courant philosophique (religieux ou non) mais engagées philosophiquement pour
témoigner de leur engagement personnel. Ce dernier élément devrait d’ailleurs
être institué officiellement (prévu dans les programmes) de manière à ne pas
privilégier un seul ou quelques-uns de ces courants. Une marge de choix devrait cependant être
laissée aux titulaires de ces cours, de manière à leur permettre de tenir
compte de contextes particuliers (exemple : le fait que dans une école ou
dans une classe soient surreprésentée une même minorité religieuse, par
ailleurs peu présente en Belgique). Il ne m’échappe pas que le remplacement des
multiples cours « philosophiques » par un cours commun d’initiation
au questionnement philosophique causerait des pertes d’emplois pour les
professeurs titulaires des différents cours « philosophiques ». Ce
problème doit être résolu par les pouvoirs publics mais ne peut pas servir de
prétexte à l’immobilisme en la matière. Il pourrait d’ailleurs l’être
partiellement, par le réengagement de certain-e-s de ces enseignant-e-s en tant
que professeurs de philosophie, à condition qu’ils soient titulaires des titres
pédagogiques requis.
Michel Staszewski, enseignant du secondaire retraité, formateur d’enseignants.
Michel Staszewski, enseignant du secondaire retraité, formateur d’enseignants.
[1] Cette possibilité
d’être dispensé de fréquenter tout cours « philosophique » existe
dans les écoles dépendant de la Communauté flamande depuis… 1985.
[2] Remarque :
si ces changements ne concernent pas l’enseignement libre confessionnel, ils
s’imposent tout de même à celles des écoles libres non confessionnelles qui
proposaient jusqu’ici le choix entre un cours de morale non confessionnelle et certains
cours de religion.
[3] C. Sägesser,
« Les débuts chaotiques du cours de citoyenneté », Politique n°97 (novembre-décembre 2016),
p. 12-13.
[4] En pratique, jusqu’ici, le cours de religion anglicane n’est organisé
qu’en région flamande.
[5] Cf. Décret définissant la neutralité de
l’enseignement de la Communauté (31/3/1994 http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/18312_000.pdf)
et Décret organisant la neutralité
inhérente à l'enseignement officiel subventionné… (17/12/2003 http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/28381_000.pdf).
[6] Je pense
d’ailleurs, plus généralement, qu’une durée de cours de cinquante minutes par
semaine est insuffisante pour la plupart des apprentissages, quel que soit le
domaine concerné.
[7] Cf. le titre II,
article 3, § 3 du Décret relatif à
l'organisation d'un cours et d'une éducation à la philosophie et à la
citoyenneté (http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/41979_000.pdf).
[8] Programme du cours de CPC pour
l’enseignement fondamental : http://www.wallonie-bruxelles-enseignement.be/progr/Philo-cit.pdf
/ Programme du cours de CPC pour le premier degré du secondaire : http://www.wallonie-bruxelles-enseignement.be/progr/CPC%20-%20Programme%201er%20degr%C3%A9.pdf / Programme du cours de CPC pour les deuxième
et troisième degrés du secondaire :
http://www.wallonie-bruxelles-enseignement.be/progr/CPC%20-%20Programme%202e%20et%203e%20degr%C3%A9s.pdf
.
[9] Décret définissant les missions prioritaires
de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire (…), article
6 (http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/21557_004.pdf).
[10] Décret relatif
au renforcement de l'éducation à la citoyenneté responsable et active au sein
des établissements organisés ou subventionnés par la Communauté française (http://www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/31723_000.pdf).
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