Ensemble ! : M. Zomersztajn a écrit, dans la
revue du CCLJ, que la définition de l’antisémitisme de l’IHRA « a le
mérite de tenir compte des évolutions et des mutations contemporaines de
l’antisémitisme » en indiquant que « l’antisionisme a
permis pendant trop longtemps de contourner l’interdit sur l’antisémitisme et
de se déchaîner librement sur les Juifs. Avec ce texte qui énonce de bons
exemples, l’antisionisme est enfin pris en considération » (1). Est-ce un point
de vue que vous partagez ?
Michel Staszewski : Je n’en partage ni la
prémisse, ni la conclusion. Je conteste la thèse, à laquelle M. Zomersztajn
fait allusion, selon laquelle il existerait un « nouvel
antisémitisme » qui serait né au début des années 2000. Les préjugés
hostiles aux Juifs qui circulent aujourd’hui n’ont rien de neuf. Pour une part,
il s’agit de ceux qui proviennent de l’ancienne doctrine anti-judaïque de
l’Eglise catholique, qui qualifiait les Juifs de « peuple déicide »
et leur attribuait collectivement la responsabilité de la mort du Christ. Pour
une autre part, il s’agit des préjugés antisémites théorisés dans le dernier
quart du XIXe siècle, notamment par l’allemand Wilhem Marr, qui a
forgé le terme « antisémitisme » dans un contexte où la haine des
Juifs (appréhendés comme « sémites ») ne se fondait plus sur une
vision religieuse du monde, mais sur des théories pseudo-scientifiques
concernant les prétendues « races humaines », les mêmes qui, à cette
époque, légitimaient les entreprises coloniales européennes. C’est de cette
période que date la création des stéréotypes des Juifs « formant une
sous-race », et en même temps tous (ou la plupart) riches, fourbes et
fomentant des complots secrets pour établir leur « domination
mondiale » à travers le contrôle de l’économie, des gouvernements, des
médias, etc. Ce sont toujours ces préjugés-là qui caractérisent l’antisémitisme
contemporain.
Ces anciens préjugés antisémites trouvent aujourd’hui une
nouvelle vigueur. Elle s’explique en grande partie par la non-résolution de ce
qu’il est convenu de nommer le « conflit israélo-palestinien ». En
effet, le mépris constant de l’État d’Israël pour les décisions de l’ONU et
pour le droit international, ainsi que l’impunité dont il bénéficie, renforcent
le fantasme de la « toute puissance des Juifs»… D’autant qu’Israël prétend
être « l’État des Juifs » et qu’en Belgique, comme dans de nombreux
pays, il n’est pas rare que des journalistes utilisent eux-mêmes les termes
« État juif » ou « État hébreu » pour parler d’Israël. Si
l’on veut nommer les choses correctement et ainsi ne pas donner de l’eau au
moulin de l’antisémitisme, je pense qu’il est important de récuser ce type
d’appellation qui relève de la vision sioniste. Mieux vaut s’en tenir au nom
officiel « d’État d’Israël » (faute de
mieux car celui-ci est aussi excluant puisque ne se référant qu’aux seuls
« israélites », autrement dit aux Juifs ) car, dans cet État (hors
territoires occupés), vivent au moins 30 % de non-juifs. Par ailleurs,
pour comprendre les enjeux actuels du « conflit », il faut savoir
qu’aujourd’hui, sur le territoire de la Palestine historique, entièrement sous
la domination israélienne depuis juin 1967, les Juifs sont désormais
démographiquement minoritaires. J’ajoute que l’idée, diffusée par la propagande
israélienne et sioniste, selon laquelle l’État d’Israël serait « soutenu
par l’ensemble des Juifs » nourrit l’antisémitisme en diffusant l’idée que
les Juifs seraient tous solidaires des politiques illégales et racistes menées
par cet État. C’est encore plus dangereux pour les Juifs dans le contexte où la
politique israélienne est sans cesse plus intransigeante, extrémiste et
criminelle. D’autant que, pour défendre sa politique (ce qui est de plus en
plus difficile par des arguments rationnels) devant l’opinion internationale, l’État
d’Israël instrumentalise l’accusation d’antisémitisme pour couper court à toute
critique, ce qui amène beaucoup de confusion en la matière.
Quant à l’idée, avancée par M. Zomersztajn selon laquelle « l’antisionisme
a permis (…) de contourner l’interdit sur l’antisémitisme et de se déchaîner
librement sur les Juifs », il faut sans doute, pour l’aborder,
rappeler ce dont on parle. Le sionisme est une doctrine politique née à la fin
du XIXe siècle et dont le but est la création d’un État juif, sur
une terre non-européenne, en tant qu’État-refuge pour les Juifs persécutés dans
le monde et considérés comme formant un seul peuple. Ce projet a été défini en
1896 par le Juif austro-hongrois Theodor Herzl dans son livre « L'État des
Juifs ». On était alors en pleine période coloniale. La Palestine, qui, à
cette époque, faisait partie de l’empire Ottoman, ne fut pas initialement le
seul lieu envisagé pour la création de cet État. Certains ont songé à
l’Ouganda, à Madagascar, à l’Argentine, etc. Vers la fin de la Première guerre
mondiale, en 1917, l’empire Ottoman s’est écroulé et, au moment où le
Royaume-Uni a pris possession de la Palestine, le mouvement sioniste mondial
est parvenu à obtenir de Lord Balfour, ministre des Affaires étrangères
britannique, une déclaration indiquant
que son gouvernement envisageait favorablement l’établissement d’un
« foyer national pour les Juifs » en Palestine. Ce fut une grande
victoire pour le mouvement sioniste, compte-tenu notamment qu’avant l’arrivée
des premiers colons juifs sionistes, il y avait moins de 5% de Juifs en
Palestine, lesquels parlaient arabe et n’étaient pas sionistes. La colonisation
sioniste de la Palestine s’est poursuivie dans ce contexte, avec des freins dus
essentiellement à la résistance de la population arabe de Palestine. En 1947,
au sortir de la Seconde guerre mondiale et du judéocide nazi, l’assemblée
générale de l’ONU a adopté un plan de partage de la Palestine (résolution 181),
et ce malgré l’opposition de l’ensemble des États arabes. Puis vint la
déclaration d’indépendance unilatérale de l’État d’Israël, en mai 1948, et sa
reconnaissance par l’ONU en mai 1949, après qu’Israël ait rapidement gagné la
guerre qui l’opposait aux États arabes environnants et ait procédé à un
véritable nettoyage ethnique des territoires désormais sous son contrôle (78 %
de la Palestine mandataire). Alors que le droit au retour des réfugiés
palestiniens a été consacré par l’ONU en décembre 1948 (résolution 194), Israël
ne leur a jamais permis de bénéficier de ce droit qu’il avait pourtant
initialement promis de respecter dans le cadre de son adhésion à l’ONU. C’est
une des raisons pour lesquelles, aujourd’hui, davantage de Palestiniens vivent
en exil que sur les terres qui constituaient la Palestine au temps du mandat
britannique. Cette colonisation, la création de l’État d’Israël et sa
reconnaissance internationale, constituent la grande victoire du mouvement
sioniste. Cette issue paraissait initialement très improbable, vu que jusqu’à
la Seconde Guerre mondiale, l’idéologie sioniste était restée minoritaire parmi
la population juive européenne, et quasi absente des communautés juives non
européennes. A cette époque, la plupart des Juifs religieux étaient
antisionistes, tout comme les Juifs du Bund (mouvement ouvrier juif présent
dans l’Empire russe) ou les Juifs communistes. D’autres s’étaient engagés dans
la voie de l’assimilation dans les pays où elle était possible… Aujourd’hui,
plus de septante ans après la création de l’État d’Israël, la majeure partie
des Juifs a peu ou prou adhéré à l’idéologie sioniste, même en dehors d’Israël.
Dès lors que cet État a
été créé, cela a-t-il encore un sens de se dire sioniste ou antisioniste ?
Oui, car la référence à l’idéologie sioniste reste
incontournable pour justifier le caractère fondamentalement juif de l’État
d’Israël, c’est-à-dire le fait qu’il soit organisé comme un État qui privilégie
les Juifs par rapport aux autres habitants, et singulièrement aux Palestiniens,
les autochtones. C’est l’idéologie sioniste qui justifie, par exemple, que cet État
permette , depuis sa création et jusqu’à aujourd’hui, à n’importe quel Juif du
monde - fut-il belge et très critique comme moi -, de s’y établir et de devenir
citoyen israélien (en vertu de la « loi du retour »), tandis qu’il
refuse ce droit aux Palestiniens exilés ou descendants d’exilés. C’est encore
cette idéologie qui justifie la politique d’apartheid actuelle menée par
Israël. Cette politique est évidente dans les territoires occupés, où les
habitants palestiniens sont soumis à des lois et règlements militaires, tandis
que les Juifs qui habitent dans les colonies sont soumis aux lois (civiles)
israéliennes. Cette même politique d’apartheid détermine également, dans une
moindre mesure, l’organisation politique sur le territoire même d’Israël, où
les citoyens israéliens qui ne disposent pas de la nationalité dite
« juive » (mais qui sont dits de nationalité « arabe »,
« druze »…) sont tenus à l’écart et/ou discriminés de fait et de
droit dans des dimensions essentielles de leurs existences : l’accès à la
propriété de terres, les permis de construire, le droit d’habiter où ils le
souhaitent, l’accès aux services publics, à l’enseignement, à des fonctions
dirigeantes de l’État et dans les domaines économique, académique, culturel,
etc.
Aujourd’hui, être antisioniste c’est donc lutter pour
l’égalité des droits en Palestine-Israël. A mes yeux, c’est un devoir pour les
démocrates. Mais un tel point de vue est insupportable pour les sionistes. Qu’ils
soient « de gauche » (prêts à des compromis territoriaux avec les Palestiniens)
ou « de droite » (refusant tout compromis), les sionistes ont en commun une
vision du monde très pessimiste. Ils considèrent que l’antisémitisme ne peut
être éradiqué. Il en découle que pour s’en prémunir, une seule solution est
possible : les Juifs doivent « se mettre à l’abri » en vivant séparés des
non-Juifs, dans un État-forteresse ; ou, au moins, pour ceux d’entre eux qui
continuent à vivre en-dehors de l’« État juif », un tel État doit exister pour
qu’ils puissent y trouver refuge, au cas où… Ils estiment dès lors qu’ils
doivent absolument garantir le maintien d’une majorité juive en Israël, par
tous les moyens et quel qu’en soit le prix pour la population non-juive. . Il
s’agit selon eux d’une question de vie ou de mort.
Cette vision des relations entre Juifs et non-Juifs permet de
comprendre la conviction sincère, exprimée par M. Zomersztajn et partagée par
la plupart des sionistes, selon laquelle l’antisionisme n’est qu’une façade
derrière laquelle se cachent des antisémites. A leurs yeux, ceux qui remettent
en question le caractère sioniste de l’État d’Israël, - c’est-à-dire sa
destination prioritaire aux Juifs, ce
qui implique forcément la discrimination de ses citoyens non juifs - veulent la
« destruction » de cet État. De là à penser qu’ils souhaitent « renvoyer les
Juifs à la mer » ou, pire, les exterminer, il n’y a qu’un pas que beaucoup de
sionistes franchissent souvent.
Tout cela ne résiste pas à un examen rationnel. Presque tous
les Palestiniens sont antisionistes, puisqu’ils n’acceptent pas que le pays où
ils vivent ou dont ils sont exilés soit devenu l’« État des Juifs », au prix de
leur déplacement forcé ou de très fortes discriminations pour ceux qui y sont
restés. Cela n’en fait pas des ennemis des Juifs. Parmi les antisionistes, se
trouvent également de nombreux Juifs, partisans,
comme moi, de la « désionisation » d’Israël, c’est-à-dire de sa transformation
en un ou deux États démocratiques, traitant de manière égale tous ses
habitants.
Ceci dit, comme dans l’ensemble de la population, il y a des
antisémites parmi ceux qui se proclament antisionistes.
L’« antisionisme » d’Alain Soral, Dieudonné et leurs amis sert de
masque à leur antisémitisme virulent. Mais c’est loin d’être le cas de la
majorité des personnes qui se disent antisionistes. Assimiler de façon générale
l’antisionisme et l’antisémitisme, c’est non seulement une imposture
intellectuelle, mais cela favorise aussi le développement de l’antisémitisme.
J’estime au contraire, qu’il est absolument indispensable, pour lutter contre
l’antisémitisme, de distinguer le judaïsme du sionisme, ainsi que
l’antisémitisme de l’antisionisme. C’est pour cette raison générale que M. Zomersztajn
et moi-même avons des appréciations opposées de la définition de
l’antisémitisme prônée par l’IHRA, et en particulier des exemples qu’elle donne
liés au conflit israélo-palestinien. Il considère l’adoption d’une telle
définition, avec ses exemples, comme une grande avancée ; je la vois pour
ma part comme un grand danger, non seulement pour la liberté d’expression, mais
également pour la lutte contre l’antisémitisme.
Parmi les Juifs vivant en dehors d’Israël, nombreux sont ceux
qui adoptent actuellement une position intermédiaire. D’une part, ils sont
conscients des violations des Droits de l'Homme et de l'impasse que constituent
la politique de l’État d’Israël , de l’autre, ils ne parviennent pas à
renoncer à l'idée d'un « État refuge » pour les Juifs.
L’explication est plus psychologique que rationnelle. C'est lié aux angoisses
que les Juifs européens ressentent depuis la Seconde Guerre mondiale et le
judéocide nazi, même s'ils sont nés après la fin du conflit. Cela me concerne
aussi : mes deux parents sont des rescapés de familles massacrées, je sais
que je suis encore aujourd'hui marqué par ce passé tragique comme tous ceux qui
portent le poids de ce type d’histoire familiale. Avraham Burg, qui fut un
dirigeant politique sioniste de premier plan, a écrit un livre important qui
aborde ce sujet « Vaincre Hitler : pour un judaïsme plus humaniste et
universaliste » (Fayard, 2008). Dans ce livre, il développe l’idée que
les Juifs doivent se soigner des névroses qu’ils traînent à cause du génocide,
névroses qui les rendent souvent insensibles au malheur des autres, tant ils
vivent eux-mêmes dans un climat psychologique angoissant. C’est un cheminement
qui reste encore à parcourir pour beaucoup.
L’IHRA labellise comme
antisémite « le refus du droit à l’autodétermination des Juifs, en affirmant
par exemple que l’existence que l’État d’Israël est le fruit d’une entreprise
raciste ». Comment répondez-vous à cette assertion ?
Pour analyser ce type d’affirmation, il faut commencer par
relever que les Juifs du monde entier ne forment pas un seul peuple, au
sens généralement admis de ce mot : « ensemble d’êtres humains vivant
en société, habitant un territoire défini et ayant en commun un certain nombre
de coutumes, d’institutions » (Petit Robert, 2010). Il existe cependant
aujourd’hui un « peuple juif israélien », qui doit avoir des droits
reconnus, quand bien-même il serait considéré comme « le fruit d’un
viol ».
Mais est-ce que le droit légitime à l’autodétermination d’un
peuple peut se réaliser aux dépends d’un autre peuple ? Je pense que non.
Il existe une solution pacifique et démocratique au conflit israélo-palestinien
mais, pour y arriver, il faut en revenir au droit international et à des
principes d’égalité entre les peuples et entre les personnes. On peut très bien
imaginer un État binational, c’est-à-dire qui reconnaît, protège et traite à
égalité les deux peuples qui le constituent. Ou encore deux États nationaux
voisins, dont chacun protège ses minorités… Mais pour cela il faut sortir du
sionisme, de l’idée que le seul moyen pour les Juifs de vivre en
« sécurité » (pas en paix!), c’est de vivre, dans un endroit du
monde, entre Juifs, et, à cette fin, s’assurer d’être en ce lieu, plus nombreux
que les autres, plus forts, plus armés, soutenus par la plus grande puissance militaire
mondiale. Il faut que les Juifs israéliens abandonnent l’idée que, pour assurer
leur existence et leur droit à l’autodétermination en tant que peuple juif
israélien, ils doivent dominer, discriminer, écraser et au besoin
« transférer » les Palestiniens. Cette approche sioniste est
illusoire, et il faut la combattre : pour vivre en paix avec les autres,
il faut se parler et s’entendre avec eux. La réconciliation est possible, à
condition que les Israéliens acceptent de vivre à égalité avec les Palestiniens.
Dire cela, ce n’est pas remettre en question l’autodétermination du peuple juif
israélien, mais c’est remettre en question sa domination sur le peuple
palestinien. C’est donc remettre en cause l’idéologie sioniste.
Ceux qui défendent le point
de vue inverse avancent l’idée que la fin de la domination démographique des
Juifs en Israël, par exemple dans le cadre d’un État binational et/ou si le
droit au retour des exilés palestiniens se concrétisait, cela conduirait à
« jeter les Juifs à la mer » …
Si le compromis politique se noue sur la création d’un ou
deux État(s) démocratique(s), dans le sens où on le conçoit généralement en
Europe, c’est-à-dire dans lequel ou lesquels les mêmes droits individuels,
civils, politiques et religieux sont reconnus à tous et à toutes les minorités,
ça ne devrait pas poser de problème. Regardez aujourd’hui les minorités juives
dans le monde : elles vivent bien mieux qu’en Israël ! À commencer
par le fait de ne pas devoir faire trois ans (pour les hommes) ou deux ans
(pour les femmes) de service militaire, qui plus est dans un contexte hostile.
L’intérêt bien compris de tout le monde est de sortir de l’impasse actuelle en
Israël-Palestine. Il est faux de prétendre qu’il n’y a pas d’interlocuteur
palestinien pour construire ce type de projet d’avenir.
Tout comme l’UPJB dont
vous êtes membre, vous soutenez le mouvement Boycott Désinvestissements
Sanctions (BDS). Pouvez-vous expliquer ce dont il s’agit et pourquoi certains
assimilent ce mouvement à de l’antisémitisme ?
Le mouvement BDS a été initié en 2005 par 171 associations de
la société civile palestinienne, dans le but de contraindre l’État d’Israël à
respecter enfin le droit international. Cette initiative est intervenue après
cinquante-sept années de déni, par Israël, du droit au retour des exilés,
trente-huit années d’occupation et de colonisation des territoires conquis lors
de la « Guerre des six jours ». Après, aussi, le refus d’Israël de
démanteler le mur construit dans les territoires occupés, et ce malgré sa
condamnation par la Cour internationale de Justice de La Haye en 2004. Ces
associations ont appelé les citoyens du monde à boycotter les produits
israéliens, les entreprises à désinvestir en Israël, et les États ou
organisations internationales à sanctionner l’État d’Israël. Quelles sont les
revendications de ce mouvement ? 1. La fin de l’occupation et de la
colonisation des territoires occupés par Israël depuis 1967, ainsi que le
démantèlement de la « barrière de sécurité » 2. L’accès des citoyens arabo-palestiniens
à une égalité de droit absolue avec les citoyens juifs de l’État d’Israël. 3.
L’application de la résolution 194 de l’Assemblée générale de l’ONU de décembre
1948 consacrant le droit au retour des exilés palestiniens.
Le constat qui inspire et justifie le mouvement BDS est que
l’ONU et les grandes puissances ne font rien d’efficace pour imposer à Israël
le respect du droit international et des droits fondamentaux des Palestiniens.
Les organisations qui ont lancé l’appel au BDS en prennent acte, et demandent
dès lors aux citoyens démocrates du monde de faire eux-mêmes, pacifiquement,
pression sur l’État d’Israël. Celui-ci développe des efforts considérables pour
criminaliser le mouvement BDS, l’assimiler d’une façon absurde à de l’antisémitisme,
et le faire interdire. C’est un signe qu’il s’agit là d’un moyen de pression
relativement efficace. L’UPJB soutient ce mouvement. Tout comme le font, en
Europe et dans le monde, beaucoup d’autres organisations juives engagées pour une paix juste au
Proche-Orient.
Si la définition de l’IHRA
ne vous paraît pas pertinente pour lutter contre l’antisémitisme aujourd’hui,
quel type d’approche préconisez-vous ?
L’antisémitisme existe bien en Belgique. Il a connu ces
dernières années un regain d’intensité parfois meurtrière. Il y a néanmoins une
grande différence, en Belgique, entre l’antisémitisme et l’islamophobie ou la
négrophobie : les Juifs sont beaucoup moins victimes de discriminations,
sans doute en partie parce que leur judéité est généralement moins apparente.
Les préjugés haineux concernant les Juifs existent cependant toujours, et ne
doivent pas être minimisés. Mais comment lutter sérieusement contre
ceux-ci ? Certainement pas en entretenant la confusion entre « les
Juifs » et « État d’Israël », ou entre
« antisémitisme » et « antisionisme ». Il faut
au contraire veiller à bien distinguer ces choses, ce que ne font ni le Comité
de coordination des organisations juives de Belgique (CCOJB), ni la mal nommée
« Ligue belge contre l’antisémitisme ».
Une action juridique répressive peut être pertinente face à
des passages à l’acte violents ou des comportements discriminatoires. Je pense
toutefois que la lutte contre l’antisémitisme ne peut se passer d’un travail
pédagogique de clarification et de déconstruction des préjugés. C’est à cela
que contribue l’UPJB, l’association juive dont je suis un membre actif, la
seule en Belgique francophone à se dire « non sioniste » (tout en ne
se revendiquant pas collectivement « antisioniste », car différentes
sensibilités existent sur ce point à l’intérieur de l’association). C’est
d’ailleurs pour cela que nous ne sommes pas membre du CCOJB, lequel a
statutairement pour objet social, notamment, le « soutien par tous les
moyens appropriés à l’État d'Israël, centre spirituel du judaïsme et havre pour
les communautés juives menacées ». Il m’arrive d’être confronté à
l’expression de préjugés antisémites, que ce soit chez un de mes voisins, chez
un de mes élèves lorsque j’étais enseignant, ou dans le mouvement de solidarité
pour les droits des Palestiniens. Je ne les laisse jamais passer sans réagir
lorsque j’en suis témoin. Ma façon de les combattre, c’est d’entamer, lorsque
c’est matériellement possible, un dialogue avec les personnes qui les
expriment, dans le but de les déconstruire par une discussion argumentée. Il
existe pour ce faire des méthodes éprouvées, pratiquées de longue date en
milieu associatif et dans le monde scolaire : il s’agit en substance de
confronter les personnes porteuses de préjugés à des réalités qui les
démentent. C’est notamment ce que fait l’UPJB, tout comme l’Association
belgo-palestinienne. Je pense que nous sommes très bien placés pour le faire,
car nous ne pouvons pas être accusés de complicité ou d’indulgence coupable
avec des « crimes contre des Musulmans » ou « contre les
Arabes », perpétrés par l’État d’Israël. J’ai travaillé les vingt
dernières années de ma carrière de professeur d’histoire dans un athénée
bruxellois très multiculturel, qui comprenait beaucoup d’élèves de familles arabo-musulmanes.
Chaque année, j’abordais dans mes cours le sujet du judéocide nazi. J’ai été
parfois été confronté à des réactions du type « pourquoi parle-t-on
toujours des Juifs ? », « On en parle trop », etc.
J’ai constaté qu’après discussion avec ces élèves, ils acceptent très bien que
l’on traite de la Seconde guerre mondiale, de la politique raciste et
génocidaire des nazis, à condition d’également laisser une place dans le cours
pour aborder les problèmes de racisme auxquels eux-mêmes et leurs parents sont
confrontés. Pour être crédible en tant qu’antiraciste, il faut être prêt à
s’engager contre toutes les formes de racisme, sans quoi on établit de facto
une hiérarchie entre les groupes discriminés, ce qui constitue en soi une forme
de racisme.
Une dernière considération sur le combat antiraciste de
manière générale. Le monde socialement fracturé d’aujourd’hui favorise la peur
de l’Autre et/ou le ressentiment, donc les comportements racistes. D’une part,
la peur de perdre leurs privilèges entraîne chez beaucoup de nantis le
développement d’un « racisme de classe » fait de condescendance, de mépris et
de méfiance envers les démunis et, donc, envers les minorités ethniques et/ou
religieuses dont les membres sont souvent socialement défavorisés. D’autre
part, l’insécurité matérielle et les sentiments de frustration et d’humiliation
ressentis par les victimes des inégalités peuvent non seulement générer en eux
de l’agressivité envers les nantis, mais également le développement de
comportements racistes envers d’autres groupes socialement défavorisés. Ce que
les partis d’extrême droite encouragent, souvent avec succès. Je suis convaincu
que pour combattre efficacement le racisme, il est indispensable de lutter
contre les inégalités sociales. C’est dire que je ne crois pas à l’efficacité
d’un antiracisme de droite. Mais le combat contre les préjugés et les
discriminations ne peut être négligé au nom d’une priorité de la lutte contre
les inégalités sociales.
(1) Zomersztajn, N. (2019), Une définition actualisée de
l'antisémitisme, in Regards, n° 1037, 1.2.19
(2) Beaucoup sont disponibles sur son blog : http://michel-staszewski.blogspot.com/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire