Article paru dans Points
Critiques n° 380, mars-avril 2019, pp. 8-10.
Comme dans l’ensemble de la population, il y a des
antisémites parmi les antisionistes. Mais c’est loin d’être le cas de la majorité
d’entre eux. À commencer par les Palestiniens qui sont quasi tous antisionistes
puisqu’ils n’acceptent pas que le pays où ils vivent ou dont ils sont exilés
soit devenu l’« État des Juifs », au prix de leur déplacement forcé
ou de très fortes discriminations pour ceux qui y sont restés, même pour ceux
d’entre eux qui ont obtenu la citoyenneté israélienne[1].
Cela n’en fait pas des ennemis des Juifs.
Les antisionistes sont aujourd’hui ceux qui s’opposent à la
perpétuation, au Proche-Orient, de l’existence
d’un État auto-défini comme juif, accueillant pour tous ceux que ses autorités
reconnaissent comme tels, aux dépends des populations non juives des territoires
sur lesquels il s’est édifié puis élargi. Parmi ces antisionistes, se trouvent de
nombreux Juifs, partisans de la « désionisation » d’Israël,
c’est-à-dire de sa transformation en un ou deux États démocratiques, traitant
de manière égale tous ses habitants.
De bonne foi
La plupart des sionistes pensent pourtant sincèrement que
l’antisionisme n’est qu’une façade derrière laquelle se cachent des
antisémites. Comment expliquer cela ?
Qu’ils soient « de gauche » (prêts à des compromis
territoriaux avec les Palestiniens) ou « de droite » (refusant tout
compromis), les sionistes ont en commun une vision du monde très pessimiste. Ils
considèrent que l’antisémitisme ne peut être éradiqué. Il en découle que pour s’en
prémunir, il n’est qu’une solution possible : les Juifs doivent « se
mettre à l’abri » en vivant séparés des non-juifs, dans un État-forteresse ;
ou, au moins, pour ceux d’entre eux qui continuent à vivre en dehors de
l’« État juif », un tel État doit exister pour qu’ils puissent y
trouver refuge, au cas où…
Certains d’entre eux pensent aussi que seule l’existence
d’un État à large majorité juive permet de lutter efficacement contre la
disparition progressive de l’identité juive du fait des « mariages
mixtes ».
Pour eux, ceux qui remettent en question le caractère
sioniste de l’État d’Israël, c’est-à-dire le fait qu’il soit destiné aux Juifs,
ce qui implique forcément que ses citoyens non juifs soient minoritaires et
discriminés, veulent la « destruction » de cet État. De là à
penser qu’ils souhaitent « renvoyer les Juifs à la mer » ou, pire,
les exterminer, il n’y a qu’un pas que beaucoup de sionistes franchissent
souvent.
Intransigeance et déni
L’existence de cet « État-refuge » est donc, selon
eux, une question de vie ou de mort. C‘est cela qui justifie à leurs yeux leur
refus d’envisager la moindre mise en pratique du droit au retour des exilés et
de leurs descendants, ainsi que les graves discriminations dont sont victimes,
depuis la création de l’État d’Israël, ses citoyens non juifs. Et pour que cela
soit psychologiquement acceptable pour eux, ils ne veulent pas savoir, nient ou
minimisent la réalité de ce que les Palestiniens nomment la « Nakba »
(catastrophe), c’est-à-dire le fait que, pour que l’État d’Israël puisse
exister en tant qu’ « État juif », les forces armées sionistes ont
organisé l’expulsion de la grande majorité des Palestiniens des territoires dont
ils ont pris le contrôle en 1948. C’était en effet la seule solution praticable
pour rendre la population juive majoritaire sur le territoire qui allait
constituer l’État d’Israël[2].
Les sionistes face aux
Juifs antisionistes
Puisque, selon les sionistes, remettre en question le
caractère « juif » de l’État d’Israël revient à mettre les Juifs,
qu’ils soient israéliens ou non, potentiellement en danger de mort, il est
incompréhensible pour eux que des Juifs puissent être antisionistes. C’est
pourquoi la plupart d’entre eux considèrent ceux-ci comme des « malades mentaux animés par la haine
d’eux-mêmes » ou des « traîtres qui trahissent leurs frères »
et/ou comme des « Juifs en partance », voire de « faux
Juifs ». Et ils se persuadent qu’ils sont « ultra-minoritaires ».
Que ces Juifs antisionistes puissent être aussi préoccupés qu’eux par la
résurgence de l’antisémitisme mais qu’ils considèrent qu’il y a d’autres moyens
de s’en prémunir que de se séparer du reste du monde en s’enfermant dans un
État-forteresse au prix du malheur des non-juifs habitants ou originaires du
territoire de cet État, cela dépasse leur entendement.
Des alliés douteux
Il est logique que, depuis ses débuts, des antisémites aient
vu le mouvement sioniste d’un bon œil puisque qu’il prônait le « chacun
chez soi », qui impliquait le départ des Juifs des pays où ils vivaient
vers un territoire qui leur serait propre et où ils pourraient édifier leur
État.
Il n’est pas étonnant que les dirigeants de l’État d’Israël,
constitué sur une base ethnique, s’entendent avec les dirigeants d’autres États
qui partagent le même type d’idéologie ethno-nationaliste, bien que leur
bienveillance à l’égard des Juifs soit sujet à caution.
D’autres alliés douteux sont ces millions de chrétiens
évangélistes, soutiens inconditionnels de l’État d’Israël, mais dont
l’existence annonce, pour eux, le retour du Christ sur terre et le jugement
dernier, lors duquel ne seront « sauvées » que les âmes de ceux qui
auront adhéré à la foi chrétienne.
Les antisionistes partisans de la transformation d’Israël
d’un État juif en un ou deux États binationaux où tous les habitants seraient
des citoyens dotés des mêmes droits et pouvant donc vivre en paix les uns avec
les autres ne seraient-ils pas, au contraire, les meilleurs alliés des Juifs ?
Michel Staszewski
[1]
Ils sont actuellement plus de 20 % des citoyens de l’État d’Israël.
[2] Au
moment du vote du plan de partage de la Palestine (novembre 1947), les Juifs
constituaient moins d’un tiers de la population totale de la Palestine
mandataire : ils étaient 608.000, les Arabes 1.237.000. Et sur le
territoire attribué par ce plan à l’« État juif » habitaient alors
498.000 Juifs et 407.000 Arabes (A. GRESH et D. VIDAL, Palestine 47. Un partage avorté, Éditions Complexe, 1987, p. 25).
je vous invite à lire : "comment le peuple palestinien fut inventé" - david horowitz & guy millière
RépondreSupprimer