Article paru dans Traces de changements n° 253, nov.– déc. 2021, pp. 22-23
La plupart des adolescents n’ont a priori pas beaucoup d’intérêt pour un passé
qu’ils n’ont pas vécu. Comment les amener à s’investir au cours d’histoire en ne
perdant pas de vue que son objectif principal
est la formation de citoyens-acteurs ?
À ce jour, dans la plupart des réseaux d’enseignement de la
« Fédération Wallonie-Bruxelles », les programmes d’histoire des
quatre dernières années du secondaire général et technique de transition
restent largement chronologiques. Ainsi, les cours de troisième doivent être
consacrés aux civilisations de l’Antiquité et du Haut Moyen Âge ; ceux de
quatrième, à la fin du Moyen Âge et aux Temps modernes. Comment, dès lors, tenant
compte de cette contrainte, motiver les élèves ?[1]
Voici deux exemples de démarches, très différentes l’une de
l’autre mais qui ont en commun de rompre avec une approche purement
chronologique du cours d’histoire.
« Refroidir » un « sujet chaud »
Le dispositif didactique qui suit amène les élèves à pratiquer une approche
régressive de l’histoire : à partir d’un questionnement concernant une
situation actuelle, ils auront à rechercher ce qui, dans le passé, pourrait
éclairer ce présent, le rendre plus compréhensible.
Dans le réseau organisé par la « Fédération
Wallonie-Bruxelles », où j’enseignais, jusqu’en 2000, le programme
permettait de consacrer les deux dernières années du secondaire à l’histoire du
XXe siècle. À cette époque, en sixième, je pouvais donc me permettre
de consacrer du temps à l’étude approfondie de plusieurs questions d’histoire
récente. Pour en établir le programme précis, je demandais l’avis des élèves.
Le thème du « conflit israélo-palestinien » était souvent plébiscité car,
étant majoritairement issus de familles de culture arabe et/ou musulmane, ces
élèves se sentaient solidaires de leurs « frères et sœurs »
palestinien-ne-s. J’accédais souvent à cette demande pour les trois raisons
suivantes :
- le caractère « chaud » de ce conflit en
faisait un problème susceptible de susciter d’emblée l’intérêt de la majorité
des élèves et donc de les inciter à se mettre plus volontiers au travail ;
- en fin de scolarité secondaire, un tel sujet permettait,
tout en abordant de nouveaux concepts (sionisme, décolonisation,…) de
retravailler, donc d’approfondir des thématiques et concepts déjà abordés
précédemment tels que le nationalisme, la Guerre froide, le fonctionnement de
l’ONU, etc. ;
- m’intéressant depuis longtemps à cette question, je me
considérais suffisamment compétent pour le traiter avec mes élèves.
Mais pour qu’un sujet « chaud » devienne
l’occasion d’apprentissages, il est nécessaire de le « refroidir »,
autrement dit, en l’occurrence, de trouver le moyen que la motivation première
des élèves ayant exprimé le souhait de voir abordé ce sujet, à savoir, donner
leur avis et souvent aussi, connaître l’avis du professeur, voire le convaincre
d’adhérer à leur opinion, se transforme en souhait d’en apprendre plus pour
mieux comprendre les tenants et aboutissants du « conflit ». Voici
comment je procédais pour atteindre ce but.
Première consigne : répondre seul, par écrit
et sans aucune documentation, aux trois questions suivantes (durée : 5’)
1. Quand ce conflit a-t-il débuté ?
2. Quels sont les adversaires en présence ?
3. Quel en est l’objet principal ?
Former ensuite des sous-groupes de 3 ou 4 élèves. Ne
pas laisser les élèves décider eux-mêmes de la constitution de ces groupes pour éviter toute dérive
« fusionnelle » (groupes composé d’ami-e-s) ou
« économique » (groupes constitués autour d’élèves considérés comme
« expert-e-s » en la matière).[2]
Consignes pour ces sous-groupes :
A. Choisissez parmi vous un-e distributeur de
parole, un-e secrétaire et un-e porte-parole.
B. Toujours sans vous documenter, comparez vos réponses aux trois questions.
Pour chacune d’entre elles, voyez si vous pouvez vous mettre d’accord. Si c’est
le cas, rédigez la réponse unique de votre groupe. Si pour une ou plusieurs de
ces questions, vous ne parvenez pas à un accord, rédigez vos différentes
réponses.
C. Notez aussi les questions que vous vous serez posées en tentant de répondre
aux 3 questions.
(durée de cette deuxième phase : 10’)
A. Chacun-e des porte-parole lisent la ou les
réponses de leur sous-groupe à la première question. L’enseignant n’intervient
pas, si ce n’est pour des demandes d’explicitation ou, une fois que les
porte-parole se seront tous exprimés, faire remarquer des différences entre les
réponses. On procède de la même manière pour les deux autres questions.
B. Un quatrième tour des porte-parole est organisé pour recueillir les
questions posées dans les différents sous-groupes. L’enseignant veille à les
conserver.
(durée de cette troisième phase : de 15 à 20’
pour un groupe d’environ 25 élèves).
Du « bon usage » de l’Antiquité grecque
L’Antiquité grecque restant un passage obligé du cours d’histoire en troisième
année, j’ai tenté d’en faire un cours utile à la formation citoyenne en fixant
comme objectifs principaux à cette partie du cours l’appropriation des trois
concepts suivants : politique, démocratie et dictature.
Je consacre les deux premières des six périodes en principe dévolues
à l’Antiquité grecque, à un travail d’appropriation théorique, non
contextualisée, de ces trois concepts, sur base des représentations initiales
des élèves.
1ère période de cours :
Rédaction individuelle, sans aucune aide extérieure, d’une
définition de « politique », suivie d’une mise en commun en
sous-groupes de trois élèves et tentative de parvenir à une définition écrite
commune. En groupe-classe, communication orale des productions des
sous-groupes. Le professeur fait remarquer les points communs et les
différences entre les définitions proposées puis communique aux élèves les
trois définitions suivantes dont il informe qu’elles proviennent d’un
dictionnaire (Le Petit Robert) :
- art et pratique du gouvernement des sociétés
humaines ;
- manière de gouverner un État ;
- ensemble des affaires publiques d’un État.
Il répond ou fait répondre par des élèves aux questions de
compréhension éventuelles que susciteraient ces définitions.
2ème période de cours :
A. Seul, chaque élève répond à la consigne : « Compose
un tableau en deux colonnes. Dans la colonne de gauche, décris trois
caractéristiques d’une démocratie politique. Dans la colonne de droite, décris
trois caractéristiques d’une dictature. Mets si possible en regard l’une de
l’autre, les caractéristiques qui s’opposent ».
B. Constitution de nouveaux sous-groupes de trois élèves. Confrontation des
propositions de chacun et tentative de construire un tableau commun. Consigne
supplémentaire : « Si des questions à propos de la démocratie
et/ou de la dictature surgissent lors de ce travail, le secrétaire du groupe
les note sur la même feuille ».
C. En groupe-classe, correction collective, sous la direction de l’enseignant
qui a dessiné un tableau mural, visible de tous, divisé en trois colonnes
respectivement titrées « Démocratie », « Dictature » et
« ? ». Les porte-parole des sous-groupes lisent tour à tour leurs
réponses. Les élèves décident collectivement, par consensus, quelles propositions
peuvent être retenues pour la démocratie et pour la dictature. Les éléments qui
font débat sont inscrits dans la colonne « ? ». Le contenu de ce
tableau est conservé. L’enseignant remet ensuite à chaque élève une définition
détaillée de ces deux concepts avec la consigne d’en prendre connaissance à
domicile et de noter au cahier d’éventuelles questions de compréhension.
Au début du cours suivant, le professeur sollicite les
questions des élèves et veille à ce qu’il y soit correctement répondu. Le
tableau réalisé précédemment est représenté à la classe. Les éléments qui ne
faisaient pas consensus sont réexaminés en les confrontant aux définitions
fournies par le professeur.
Ce n’est qu’après ce moment que commence un travail basé sur
un dossier documentaire ayant pour objet l’organisation politique et sociale
d’Athènes et de Sparte aux Ve et IVe
siècles AC. Avec pour but principal, à l’aide de comparaisons avec notre
époque, d’affiner la compréhension des concepts de politique, de démocratie et
de dictature. Dans ce but, sont travaillés des concepts connexes tels que souveraineté
populaire, droits politiques, démocratie directe et démocratie représentative.
Dans un va-et-vient à travers le temps.[3]
[1] Pour
une réflexion générale à ce sujet, lire le chapitre intitulé « Motiver les
élèves à l’étude de l’histoire » dans B.REY et M. STASZEWSKI, Enseigner
l’histoire aux adolescents. Démarches socio-constructivistes, de Boeck,
2010, pp. 253 à 271.
[2]
Cf. P. MEIRIEUX, Itinéraires des pédagogies de groupe, Chronique
sociale, 1996 (6ème édition).
[3] La
dém arche complète avec la documentation
utilisée se trouve dans B. REY et M. STASZEWSKI, op. cit., pp. 117 à 130.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire