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jeudi 30 décembre 2021

La Commission européenne veut-elle vraiment combattre l’antisémitisme ?

 Article publié dans Palestine n° 90, oct., nov., déc. 2021 pp. 31-32

En associant Israël à la lutte contre l'antisémitisme et en préconisant l'usage de la définition controversée de l'IHRA,  la Commission jette à nouveau le trouble sur ses réelles intentions. 


Même si, en Europe, à la différence d’autres minorités victimes de racisme, les Juifs ne sont plus que rarement victimes de discriminations, les préjugés à leur égard restent très répandus et conduisent encore parfois à des agressions physiques et même à des meurtres. Lutter contre les préjugés à l’égard des Juifs reste donc tout à fait nécessaire.    

Le 5 octobre 2021, dans un document adressé au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social et au Comité des Régions, la Commission européenne a rendu publique sa «stratégie pour combattre l'antisémitisme et encourager la vie juive» pour les années 2021 à 2030. Pour contrer l’antisémitisme, elle prône à la fois des actions répressives à l’égard de propos et d’actes antisémites et des mesures éducatives visant à combattre les préjugés concernant les Juifs.

Si l'intention aux origines de cette stratégie est louable, certains moyens pour la mettre en œuvre ne sont pas sans poser question, tant du point de vue de leur efficacité au regard de l’objectif visé que des risques pour la liberté de critique de la politique israélienne.

Une définition problématique de l’antisémitisme

Ainsi, la Commission confirme dans ce document la centralité que revêt pour elle l'usage de la définition de l’antisémitisme prônée par l’« International  Holocaust Remembrance Alliance » (IHRA)[1] dont voici le texte intégral : « L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à l’égard des Juifs. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte. »

Cette définition est particulièrement imprécise et donc inutilisable d’un point de vue juridique. Voilà déjà une bonne raison de renoncer à s’en servir. Mais, beaucoup plus grave, elle est accompagnée, « pour l’illustrer », de onze « exemples contemporains d’antisémitisme », dont sept concernent l’État d’Israël, parmi lesquels « le refus du droit à l’autodétermination des Juifs, en affirmant par exemple que l’existence de l’État d’Israël est le fruit d’une entreprise raciste ». Le racisme d’État pratiqué par Israël depuis sa création est un fait établi depuis longtemps, tant par les historiens israéliens que palestiniens. Dans les faits, l’autodétermination des Juifs israéliens a été réalisée au prix du déni de ce droit pour les Palestiniens. Il n’est pas antisémite de constater ces faits et de les condamner.  Et pourquoi entretenir la confusion entre « les Juifs » et Israël ? Si Israël se veut l’« État nation du peuple juif »[2] bien qu’environ 26 % de ses citoyens ne soient pas juifs et que les citoyens juifs d’Israël ne constituent qu’environ 40 % des Juifs du monde, la Commission européenne n'a pas à le conforter dans cette prétention.

Sionisme et judaïsme : un amalgame dangereux

Si elle veut vraiment contribuer à lutter efficacement contre l’antisémitisme, la Commission européenne devrait prendre en compte une des causes fondamentales de son regain depuis la création de l’État d’Israël : la confusion constamment et délibérément entretenue entre l’État d’Israël et les Juifs. Car les dirigeants israéliens et ceux qui soutiennent leurs choix politiques en infraction constante avec le droit international ne ménagent pas leurs efforts pour faire croire à l’opinion publique mondiale qu’Israël est l’État des Juifs du monde entier et que ceux-ci en sont solidaires, quelles que soient les actions de ses dirigeants. 

Pour combattre efficacement l’antisémitisme, il est nécessaire d’établir une distinction claire entre judaïsme et sionisme ainsi qu’entre antisémitisme et critique radicale des politiques menées par l’État d’Israël. Car la confusion entretenue entre ces notions renforce des préjugés concernant les Juifs. D’abord ceux selon lesquels tous les Juifs auraient la nationalité israélienne et soutiendraient les choix politiques des gouvernements de cet État. Ensuite celui selon lequel les Juifs seraient puissants et secrètement organisés au point d’imposer leur volonté aux grands de ce monde ; ce dernier s’explique en grande partie par l’impunité dont jouit depuis si longtemps cet État malgré ses transgressions continuelles du droit international et son déni des plus fondamentaux des droits humains. C’est ce qui fait que, pour ceux qui sont perméables à la théorie raciste du « complot juif international », le monde occidental peut apparaître comme étant « soumis aux Juifs ».  

La Commission contribue à cette regrettable confusion, non seulement en recommandant l’usage de la définition de l’antisémitisme de l’IHRA, indissociable de ses « exemples » vu son caractère flou, mais aussi en prétendant associer l’État d’Israël, pourtant coupable d’une véritable politique d’apartheid à l’égard des Palestiniens[3], à sa « stratégie pour combattre l’antisémitisme » et pour « encourager la vie juive » en Europe. On peut en effet lire au point 4.1 du document de la Commission : « Israël est un partenaire clé de l'Union européenne, y compris dans la lutte mondiale contre l'antisémitisme. L'UE s'efforcera de renforcer le séminaire de haut niveau UE-Israël sur la lutte contre le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme, co-organisé annuellement, en mettant l'accent sur le suivi opérationnel. »

 Si l’Union européenne veut contribuer à une lutte efficace contre le racisme dont les Juifs sont victimes en Europe, elle devrait renoncer à s’associer à Israël, coupable d’un racisme d’État de la pire espèce. Et elle devrait refuser tout amalgame entre l’antisémitisme et la critique des politiques menées par Israël à l’égard des Palestiniens. 

 Michel Staszewski,

membre de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB) 



[1] Voir notamment le n° 83 du bulletin Palestine ainsi que le dossier que la revue Ensemble ! a consacré à cette définition et à ses usages dans son numéro 101 (décembre 2019). 

[2] Une « loi fondamentale » israélienne, votée en 2018, réaffirme qu’Israël est l’« État-nation du peuple juif ». Elle précise, entre autres, que «  L’État d’Israël est le foyer national du peuple juif, dans lequel il réalise son droit naturel, culturel, religieux et historique à l’autodétermination » et que « le droit d’exercer l’autodétermination nationale dans l’État d’Israël est propre au peuple juif. » On y trouve aussi ceci, qui concerne essentiellement les territoires occupés depuis 1967  : « L’État considère le développement des colonies juives comme une valeur nationale et agira pour encourager et promouvoir leur création et leur renforcement. ».

[3]  Dans un rapport officiel publié en mars 2017, la CESAO (Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie occidentale)  a établi qu’Israël est un État d’apartheid selon la définition juridique adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU le 30 novembre 1973. C’est aussi la conclusion à laquelle sont parvenues, en 2021, deux organisations non gouvernementales ayant pour objet la défense des droits humains, l’israélienne B’Tselem,  et l’internationale Human Rights Watch.  

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