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mardi 12 décembre 2023

Palestine/Israël : Une vie humaine vaut une vie humaine. D’accord ?

 Mise au point préalable : j’adresse ce billet aux personnes qui, quelles que soient leurs appartenances ethnoculturelles ou philosophiques, comme moi, sont attachées à ces valeurs fondamentales de la gauche politique que sont l’aspiration à l’égalité des droits et à la solidarité fraternelle entre tous les humains, dans l’esprit de la « Déclaration universelle des droits de l’Homme ».

Pas aux racistes de toutes obédiences. Passez votre chemin.

***************

En cette fin d’année 2023, l’émotion est à son comble chez ceux et celles qui, pour de multiples raisons, se sentent particulièrement concerné·es par ce qui se passe en Palestine/Israël. Depuis deux mois, le déchaînement de violences a dépassé tout ce qu’on a connu depuis la conquête par l’armée israélienne, en 1967, des territoires palestiniens qui n’étaient pas sous sa domination jusque-là.   

Je suis effrayé de constater que même parmi celles et ceux qui se targuent d’être des militant-e-s antiracistes et des défenseurs infatigables des droits humains se manifeste, sans doute sous le coup de l’émotion, une tendance au « repli communautaire », autrement dit à s’identifier soit aux Palestiniens (parce qu’arabes ou musulmans ?) soit aux Israéliens (parce que juifs ?) ; et de renoncer, souvent inconsciemment à considérer que toute vie humaine est précieuse au même titre, quelle que soit son appartenance ethnique ou religieuse.

Ainsi certaines personnes de gauche, sympathisant·es de la cause palestinienne refusent de condamner les massacres et enlèvements indiscriminés de civils (y compris d’enfants et de vieillards) perpétrés le 7 octobre dernier par des militants armés du Hamas et d’autres factions palestiniennes, estimant que, puisque la cause palestinienne est juste, toutes les formes de résistance sont admissibles ; que la fin (juste) justifie donc tous les moyens, sans exception.

Je ne suis absolument pas d’accord avec ça. Pour moi, aucune cause, aussi juste soit-elle, ne justifie jamais que des innocents soient délibérément sacrifiés. Ces moyens-là sont des crimes qui salissent gravement la cause qu’ils prétendent servir.

Qu’on me comprenne bien : je me permets ce jugement sur des ACTES que j’estime criminels  mais pas de donner des leçons de morale aux PERSONNES (dont la majorité n’a pas survécu) qui ont commis ces actes car je sais à quel point leur vécu personnel est éloigné du mien qui vit bien à l’abri en Belgique :  je ne subis pas un blocus infernal et interminable ; je ne manque de rien alors que les Gazaouis sont pour la plupart privés de biens aussi indispensables que d’eau potable, de nourriture variée et en suffisance, d’accès aux médicaments et aux soins de santé, d’électricité, de carburant, etc. Et, contrairement à l’ensemble des Gazaouis, je peux me déplacer librement. Les jeunes de la bande de Gaza, pour la plupart au chômage, n’ont aucune perspective d’une vie digne.

Je suis aussi très inquiet quand je constate que certain·es de mes ami·es juif·ves de gauche, pourtant sensibles aux souffrances des Palestiniens et résolument opposé·es aux politiques profondément discriminatoires menées à l’encontre de ceux-ci par les gouvernements israéliens successifs, semblent tout à coup éprouver plus d’empathie pour les victimes juives que palestiniennes. Cela s’est par exemple manifesté par le reproche de la part de quelques membres de l’UPJB que notre communiqué du 10 octobre ait mentionné autre chose que la condamnation des massacres de la population civile israélienne, alors que La population gazaouie était déjà victime de bombardements dévastateurs et que, la veille, Yoav Gallant, le ministre de la Défense israélien, avait annoncé l’imposition d’un « siège complet » à la bande de Gaza : « Pas d’électricité, pas d’eau, pas de nourriture, pas de gaz, tout est fermé ». « Nous combattons des animaux et nous agissons en conséquence ».

J’ai aussi été choqué quand j’ai constaté que l’appel de l’UPJB à rejoindre la manifestation du 11 novembre contenait la revendication de la libération de tous les otages (ce que je trouvais évidemment très bien) mais sans demander celle des prisonniers politiques palestiniens, alors qu’on savait à ce moment que, depuis le 7 octobre, au moins 1.400 Palestiniens des autres territoires occupés avaient déjà été arrêtés, en plus des 5.000 déjà emprisonnés, dont au moins un tiers de « prisonniers administratifs », c’est-à-dire détenus sans inculpation ni jugement. Pour moi, ces prisonnier·ères sont les otages de l’État d’Israël.

Je ne me considère ni comme « anti-israélien », ni comme « pro-palestinien ». Je suis partisan d’une paix juste entre Palestiniens et Israéliens, la seule qui puisse durer. Cela implique pour moi de me montrer solidaire de la lutte des Palestiniens pour le rétablissement de leurs droits à vivre dignement dans leur pays. C’est pourquoi je soutiens leur combat contre l’apartheid israélien. Mais cela n’implique pas pour moi de considérer que ce but juste justifie l’emploi de n’importe quel moyen. Restons humains.     

                                                                                                 Michel Staszewski  29/11/2023    

dimanche 19 novembre 2023

Des profs neutres ?

 Michel Staszewski

Article paru dans « Traces de changements » n° 262,
septembre – octobre 2023, pp. 18-19

Faut-il que les profs de l’enseignement officiel soient neutres ? Est-ce possible?

Comme tous les profs de l’enseignement officiel, à l’exception de ceux en charge des cours dits philosophiques, j’étais tenu de respecter un décret neutralité, celui qui concerne l’enseignement organisé par la Fédération Wallonie-Bruxelles1. On y lit notamment dans son article central : «Devant les élèves, il [le personnel de l’enseignement] s’abstient de toute attitude et de tout propos partisans dans les problèmes idéologiques, moraux ou sociaux, qui sont d’actualité et divisent l’opinion publique; de même, il refuse de témoigner en faveur d’un système philosophique ou politique (…)». Il apparait donc que, sous l’appellation de neutralité, ce qui est explicitement exigé des profs de l’enseignement organisé par les pouvoirs publics est de renoncer à toute forme de prosélytisme en faveur de leurs convictions personnelles.

Ceci ne m’a non seulement jamais mis dans l’embarras, mais constitue un principe déontologique auquel j’adhère. J’estime en effet que l’enseignement officiel, où j’avais délibérément choisi d’exercer mon métier, ayant vocation à accueillir l’ensemble de la population d’âge scolaire, n’a pas à prôner un choix idéologique particulier, si ce n’est une éthique générale basée sur la «Déclaration universelle des droits de l’Homme», que j’avais d’ailleurs affichée dans ma classe comme un texte de référence, souvent utilisé comme tel durant mes cours d’histoire. À cet égard, il est intéressant de noter que dans l’article correspondant (n° 5) du décret de 2003 il a été ajouté ceci : «Il [le personnel de l’enseignement] veille toutefois à dénoncer les atteintes aux principes démocratiques, les atteintes aux droits de l’Homme et les actes ou propos racistes, xénophobes ou révisionnistes.»

Une autre raison explique mon adhésion à cette interdiction faite aux profs de promouvoir leurs convictions personnelles auprès des élèves. En tant qu’adulte ayant en charge une partie de l’éducation d’enfants ou de jeunes et ayant le pouvoir de juger de leurs acquis, il m’apparait illégitime que les profs profitent de leur ascendant de fait pour tenter d’influencer idéologiquement leurs élèves.

Cacher ses opinions à ses élèves?

Si les textes des décretsneutralité me semblent non équivoques, beaucoup de membres du personnel enseignant, y compris des directions d’établissements ainsi que de nombreux élèves et parents d’élèves sont pourtant convaincus que ce qui est demandé aux enseignants est de faire abstraction de leurs opinions et de les cacher à leurs élèves, de manière à leur apparaitre non engagés, objectifs. Cela est-il possible? Est-ce souhaitable?

Je suis convaincu que les choix pédagogiques et didactiques, quels qu’ils soient, ne sont pas idéologiquement neutres. Qu’iel enseigne les mathématiques, une science, une langue, l’éducation physique ou toute autre discipline scolaire, un·e enseignant·e peut le faire de manière doctrinaire : «C’est comme ça parce que moi qui suis spécialiste de cette discipline je vous le dis; ça ne se discute pas». Iel peut au contraire s’efforcer de démontrer, par le raisonnement, le calcul, l’expérimentation, le caractère scientifique et donc vrai d’un savoir. Iel peut aussi choisir de faire connaitre aux élèves le caractère évolutif, provisoire des vérités scientifiques, leur histoire. Et accepter d’en débattre. Sur un autre plan, iel peut décider ou non d’accepter que puissent être discutées par ses élèves ses évaluations à enjeu certificatif de leurs acquis d’apprentissages ou ses décisions visant certains de leurs comportements qu’iel juge répréhensibles. À mes yeux, aucune de ces options déontologiques ne peut être qualifiée d’idéologiquementneutre.

Les élèves du secondaire ne sont d’ailleurs pas dupes. Observant les manières variables de se comporter des adultes de l’équipe éducative, les jeunes sont témoins chaque jour du fait que ces adultes ne portent pas toustes les mêmes valeurs. Cela est particulièrement évident quand leurs profs sont manifestement partagés quant à la participation à des actions de grève, ou plus ou moins favorables à la mise en place au sein de l’école d’institutions permettant aux élèves de s’exercer à la démocratie consultative (conseils de délégué·e·s de classe…).    

En certaines occasions, cette absence de neutralité se manifeste aussi au plus haut niveau de la hiérarchie scolaire. C’est ainsi qu’après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, l’ensemble des écoles secondaires de l’enseignement officiel ont reçu du ministère de l’Éducation l’injonction d’organiser, au même moment, trois minutes de silence en hommage aux victimes de ces attentats. J’ai, pour ma part, refusé d’obliger la classe qui m’était confiée à cette heure-là de se plier à cette directive, laissant le libre choix à chacun·e tout en annonçant qu’on en discuterait ensuite. Lors de ces échanges, plusieurs élèves ont manifesté leur étonnement, voire leur indignation que rien de tel n’avait été organisé lors d’autres évènements particulièrement dramatiques comme le génocide des Tutsis du Rwanda en 1994.

Un cours d’histoire neutre?

Comme tous mes collègues, j’étais tenu de respecter un programme établi sur base duréférentiel commun à l’ensemble des réseaux d’enseignement. Les référentiels et les programmes sont les résultats de choix qui ne peuvent pas être idéologiquement neutres. Il en est de même quant à l’usage qu’en font les enseignants.

C’est ainsi que, même si je tenais compte des thématiques et des concepts que le programme m’imposait, rien ne m’empêchait d’en privilégier certains et de les traiter à ma manière. Par exemple, convaincu de l’importance d’une formation en économie politique pour comprendre le fonctionnement de nos sociétés ainsi que de l’importance des facteurs économiques pour expliquer les évolutions et ruptures du cours de l’Histoire, je consacrais délibérément plus de temps que la plupart de mes collègues, au travers de situations ou d’évènements historiques choisis à cette fin, à l’apprentissage de concepts tels que : capitalisme, impérialisme, colonisation, crise de surproduction ou collectivisme.

On ne peut pas connaitre le passé tel qu’il fut

Persuadé que notre accès au passé de l’humanité ne peut être que partiel et partial, j’affichais en permanence dans ma classe la citation suivante, d’Albert D’Haenens, que j’utilisais comme matière à réflexion pour mes élèves : «L’histoire n’est pas donnée. L’imaginaire la construit, sur base de traces. »

Pour mettre en évidence le côté partiel de notre connaissance de faits du passé, quand je mettais mes élèves face à un problème à résoudre sur base d’une documentation, la formulation des questions posées commençait toujours par la formule : «d’après les documents dont vous disposez…»

Quant à l’aspect partial des appréhensions du passé, je le mettais en évidence en confrontant souvent les élèves à des documents faisant apparaitre des regards subjectifs contradictoires sur les situations ou évènements concernés.

Cacher sa relation personnelle à l’Histoire?

Poursuivant l’objectif — qui n’est pas neutre! — de contribuer à faire en sorte que les élèves qui m’étaient confiés se perçoivent comme acteurs potentiels, non seulement de leur destin personnel, mais aussi de leur environnement large, je veillais à ce qu’ils prissent conscience que leur histoire personnelle et familiale était reliée à lagrande histoire, que leur famille et eux-mêmes en étaient partie prenante.

C’est une des raisons pour lesquelles, quand le sujet s’y prêtait, je les incitais souvent à faire part en classe d’éléments de la culture ou de l’histoire de leur famille en corrélation avec les problèmes historiques étudiés. Et, quand je le jugeais approprié, je faisais de même, dévoilant ainsi une certaine implication de ma famille dans des évènements historiques. Il en était ainsi quand nous étudions la politique raciste du régime nazi. Je trouvais que les élèves avaient le droit de savoir que des proches de leur prof. avaient été victimes de cette politique et donc que, concernant ce sujet-là plus qu’un autre, il ne pouvait être considéré commeneutre.

Il en était de même quand était abordée une thématique liée aux croyances religieuses, telle que la crise de la chrétienté aux XVe et XVIe siècles ou la Philosophie des Lumières au XVIIIe siècle. Il arrivait toujours un moment où un·e élève me demandait si j’étais croyant ou à quelle religion j’adhérais. Je répondais à ces questions, sans m’attarder, mais franchement, estimant qu’iels avaient le droit de savoir où me situer en cette matière, d’autant plus que beaucoup d’élèves n’hésitaient pas à dévoiler leurs propres convictions.

Et quand un·e élève me demandait — ce qui arrivait souvent en sixième, car le cours s’y prêtait — la différence entre la gauche et la droite en politique, je me faisais un devoir, avant de rencontrer sa demande, de lui dire que j’allais tenter de lui répondre le plus objectivement possible, mais qu’iel avait le droit de savoir que, personnellement, je me situais plutôt à gauche.

Qu’iels le veulent ou non, les profs constituent des modèles ou des contremodèles marquants pour leurs élèves. Je considère comme une richesse d’un point de vue éducatif qu’au cours de leur carrièred’élève, les jeunes se retrouvent en présence d’adultes porteurs de valeurs différentes. 

1 Il s’agit du Décret définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté (1994). Les profs des autres réseaux de l’enseignement officiel sont soumis au Décret organisant la neutralité inhérente à l’enseignement officiel subventionné (2003), au contenu similaire.

samedi 3 juin 2023

"Palestiniens et Israéliens. DIRE L'HISTOIRE, déconstruire mythes et préjugés, ENTREVOIR DEMAIN"

 Ce livre, dont je suis l'auteur a été édité par les éditions du Cerisier en mai 2023. 

Son titre donne déjà une idée de son objet. Mais pour que vous puissiez vous faire une idée plus précise de son contenu, suivent :

- un extrait de l’introduction ;

- la table des matières détaillée.

 Il peut être obtenu dans n’importe quelle librairie ou directement chez l’éditeur, sans frais d’envoi : http://editions-du-cerisier.be/spip.php?rubrique27 . Prix : 18,80 €.

Bonne lecture… éventuelle. Vos retours m’intéressent.

 Michel Staszewski


Extrait de l’introduction

 

L’idée de ce livre est née des constats empiriques suivants :

- Dans le monde occidental, nombreuses sont les personnes qui, pourtant intéressées par le conflit israélo-palestinien, le trouvent compliqué et affirment ne pas y comprendre grand-chose.
- Ces mêmes personnes le perçoivent souvent comme insoluble.

J’estime au contraire que, même si sa très longue durée en fait une histoire pleine de péripéties et de rebondissements, il est tout à fait explicable. Et qu’il peut être résolu.

C’est ce que j’ai voulu prouver par le présent essai.

Déconstruire les mythes, en revenir aux faits

Je suis persuadé que l’impression de grande complexité, qui rend souvent ce conflit énigmatique aux yeux de bien des gens dans cette partie du monde, a comme cause majeure l’influence dominante dans les médias de masse d’une vision de celui-ci très marquée par le sionisme devenu l’idéologie officielle de l’État d’Israël. Du fait de cette prééminence idéologique, les faiseurs d’opinion font généralement passer pour légitime la prétention de l’État d’Israël à se vouloir « État juif », alors qu’environ 30 % des citoyens de cet État, dont 20% de Palestiniens, ne sont pas juifs. Et même comme « l’État des Juifs du monde entier », donc accueillant pour toutes les personnes considérées comme juives par cet État mais refusant le droit au retour des exilés et de leurs descendants. Ils parviennent à faire passer ces prétentions pour incontestables et indépassables ; et pour antisémites et adeptes de la « destruction d’Israël » ceux qui les remettent en question.

Ce « sionisme d’État » tend logiquement à promouvoir, avec un succès certain, une vision valorisante d’Israël et à justifier les décisions politiques de ses dirigeants, donc à édulcorer, passer sous silence, voire nier des réalités dérangeantes, en particulier les conséquences désastreuses pour l’ensemble des Palestiniens de l’obsession sioniste de faire tout pour que la citoyenneté israélienne soit réservée très majoritairement aux Juifs.

Pour appréhender correctement le conflit israélo-palestinien, il faut s’affranchir de cette vision-là et aller au plus près des faits. C’est pourquoi la majeure partie de cet essai est consacrée d’une part à la description concrète des conséquences de la mise en œuvre du projet sioniste pour les Palestiniens, d’autre part à la description et l’analyse critique de l’idéologie sioniste ainsi qu’à la déconstruction des mythes qu’elle véhicule. Des préjugés concernant les Juifs font également obstacle à une vision claire du conflit. Je me suis donc aussi attaqué à leur déconstruction. Pour déboucher finalement sur la recherche de solutions.

(…)

 

               Table des matières

 

INTRODUCTION

• Déconstruire les mythes, en revenir aux faits. . . . . . . . . . . . . 9

• L’impossible neutralité de l’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

• Structure de l’ouvrage. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

• Questions de vocabulaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

 

CHAPITRE 1

L’idéologie sioniste

• Définitions. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

• Fondements idéologiques du sionisme. . . . . . . . . . . . . . . . . 19

◦ Une vision particulière de l’histoire des Juifs justifie le projet sioniste. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

◦ Enjeux idéologiques contemporains de cette représentation de l’histoire des Juifs. . . . . . . . . . . 21

◦ Critique de la vision sioniste de l’histoire des Juifs. . . .22

◦ Les principales tendances du mouvement sioniste. . . . .24

• Les Juifs et le sionisme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

• L’idéologie sioniste peut-elle être qualifiée de raciste?. . . . . 33

 

CHAPITRE 2

Le sionisme mis en pratique (1880-1949)

La Première Alya . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

La Deuxième Alya . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38

La Déclaration Balfour. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

La Troisième Alya. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43

La Quatrième Alya . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

Les émeutes de 1929 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

Le mouvement sioniste face à l’accession au pouvoir des nazis en Allemagne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

La Cinquième Alya. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
1936 - 1939 : La grande révolte des Arabes de Palestine. . . . . . 54

Le premier plan de partage de la Palestine. . . . . . . . . . . . . . . . 56

Le «livre blanc» (1939). . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60

Le programme de Biltmore. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62

1945 - 1947. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64

Le plan de partage de l’ONU . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66

Du vote du plan de partage à l’expulsion

des Palestiniens. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72

 

CHAPITRE 3

L’obsession sioniste de l’entre-soi

et ses conséquences pour les Palestiniens. . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

Les ennemis de l’intérieur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84

Le «grand remplacement». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89

Légalisation de la spoliation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91

«Loi du retour» contre «Droit au retour». . . . . . . . . . . . . . . . . 94

Israël, État juif. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96

Discriminations selon l’appartenance religieuse. . . . . . . . . . . . 98

Limitation des droits politiques des Palestiniens citoyens de l’État d’Israël. . . . . . . . . . . . . . . . 99

Discriminations socioéconomiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100

La loi sur les «comités d’admission». . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103

 

CHAPITRE 4

Israël au-delà de ses frontières de 1949. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

Pourquoi la «Guerre des six jours»?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

De la conquête militaire à la colonisation. . . . . . . . . . . . . . . . 110

Le laisser-faire international. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112

Le rôle des sionistes religieux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 115

La politique des gouvernements israéliens. . . . . . . . . . . . . . . 119

Le complexe de Massada . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

 

CHAPITRE 5

Le sort des populations arabes

des territoires occupés depuis 1967. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125

1967 - 1987 : une administration militaire «éclairée»?. . . . . . 125

Résistance et répression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129

1987 - 1993 : la «Première Intifada» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132

Ce que le «processus d’Oslo» va changer pour les Palestiniens des territoires occupés. . . . . . . . . . . . . . 136

Entraves croissantes à la liberté de mouvement et «vol du temps» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 140

Engrenage sanglant. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144

La «barrière». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151

Après Sharon. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 155

Des politiques d’occupation différenciées . . . . . . . . . . . . . . . 156

Jérusalem-Est . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156

Hébron. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161

La vallée du Jourdain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163

Le plateau du Golan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165

Bande de Gaza : une interminable descente aux enfers . . . . . 167

Période égyptienne et «Crise de Suez». . . . . . . . . . . . . . . 167

1967 - 1968 : pourquoi le nombre des habitants arabes de Gaza diminue-t-il?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 168

1970 - 1972 : résistance et répression. . . . . . . . . . . . . . . . 170

Débuts de la colonisation juive. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171

Exploitation de la main-d’oeuvre salariée. . . . . . . . . . . . . 172

Quand Israël soutenait les islamistes. . . . . . . . . . . . . . . . . 173

Fermeture de la frontière égyptienne . . . . . . . . . . . . . . . . 174

La Première Intifada. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175

L’enfermement et ses conséquences sociales. . . . . . . . . . 177

La Deuxième Intifada. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 178

Départ des colons. La bande de Gaza assiégée. . . . . . . . . 179

Fatah et Hamas : entre négociations et guerre civile. . . . . 180

Le Hamas au pouvoir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 183

Gaza, «entité hostile» . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185

 

CHAPITRE 6

Déconstruire les mythes et les préjugés. . . . . . . . . . . . . . . . . . 193

Mythes sionistes. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 193

«Les Juifs du monde entier constituent

un seul peuple». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194

La «dispersion» des Juifs et leur constant

désir d’un «retour» dans leur patrie ancestrale. . . . . . . . . 195

L’antisémitisme est «éternel» et «inéradicable». . . . . . . . 196

Une «civilisation judéo-chrétienne»?. . . . . . . . . . . . . . . . 198

«Israël, État-refuge pour les Juifs». . . . . . . . . . . . . . . . . . 198

«Le peuple palestinien n’existe pas…». . . . . . . . . . . . . . . 200

«Faire fleurir le désert». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201

Mythes concernant les circonstances

de la création de l’État d’Israël. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203

«Les Arabes ne veulent pas la paix, mais la destruction de l’État d’Israël». . . . . . . . . . . . . . . . 206

Diabolisation du Hamas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209

«Israël est la seule démocratie du Moyen-Orient». . . . . . 216

Préjugés concernant les Juifs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219

Juif = adepte de la religion juive?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219

Confusion entre Juifs, Israéliens et sionistes. . . . . . . . . . . 221

Lobby juif? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222

«Israël dicte sa politique aux États-Unis». . . . . . . . . . . . . 227

La tentation négationniste. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 230

À propos de «terrorisme». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237

«Terrorisme», un concept extensible. . . . . . . . . . . . . . . . . 240

Comment prévenir ou faire cesser les actions terroristes menées par des Palestiniens?. . . . . . . . . . . . . 243

 

CHAPITRE 7

Sortir de l’impasse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247

Apartheid à l’israélienne. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 247

La non-résolution du conflit israélo-palestinien exacerbe partout le racisme visant les Juifs,  les Arabes et les musulmans. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 250

Le peuple palestinien ne renoncera pas à ses droits. . . . . . . . 251

L’angoisse entretenue des Juifs israéliens. . . . . . . . . . . . . . . . 252

Limites du sionisme de gauche. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254

L’initiative de Genève. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 254

Lignes rouges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257

Une solution à deux États est-elle encore possible?. . . . . . . . 259

Quelle solution à un seul État?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261

Penser «binational». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 261

«Droit au retour» et «Loi du retour». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 263

Se réconcilier. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264

L’immense responsabilité des États occidentaux . . . . . . . . . 265

L’action citoyenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267

 

Pour conclure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271

Des raisons de désespérer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271

Des raisons d’espérer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 272

Combien de temps encore pour sortir de l’impasse? . . . . . . 274

 

Repères chronologiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 277

 

Glossaire/Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 289

 

Pour en savoir plus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 317

 

Cartes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 323

 

mardi 28 mars 2023

Qui arrêtera le sixième gouvernement Netanyahu ?

 Article paru dans Le Drapeau rouge n° 97, mars avril 2023 pp. 10-11

Michel Staszewski 

Le gouvernement le plus à droite de toute l’histoire de l’État d’Israël

Fin décembre 2022, Benyamin Netanyahu a reconquis le poste de premier ministre pour la sixième fois malgré sa triple inculpation pour corruption, fraude et abus de confiance. Son parti, le Likoud, a en effet obtenu le plus grand nombre de sièges au parlement israélien et, pour y obtenir la majorité absolue, s’est allié avec les partis ultra-orthodoxes Shas et Judaïsme unifié de la Torah ainsi qu’avec trois partis de la droite sioniste religieuse la plus extrême (Force juive, Sionisme religieux et Noam) qui avaient présenté, pour l’élection législative du 1er novembre 2022, une liste commune dénommée Parti sioniste religieux. Il a ainsi pu former le gouvernement le plus à droite et le plus religieux de toute l’histoire de l’État d’Israël. Ce succès va sans doute lui permettre d’échapper, au moins pour un temps, à des condamnations judiciaires.

Itamar Ben Gvir, de Force juive, a obtenu le « Ministère de la sécurité nationale », ce qui signifie qu’il dirige désormais la police. Il s’est de plus vu attribué le contrôle de la « police des frontières » qui dépendait  jusqu’ici du Ministère de la Défense, ce qui étend son pouvoir de police aux territoires occupés. Ben Gvir est un admirateur de feu le rabbin Kahane qui professait la haine des Arabes et prônait leur expulsion de la « Terre d’Israël ». Le parti Kach, que celui-ci avait fondé, fut interdit en 1994 car considéré comme terroriste par le gouvernement israélien. Ben Gvir prône lui-même le transfert d’une partie de la population arabe israélienne, jugée déloyale, vers les pays voisins.

Bezalel Smotrich, le dirigeant de « Sionisme religieux », qui voudrait que les lois israéliennes soient basées sur la Torah et qui souhaite l’interdiction des partis « arabes » israéliens qui ne font pas allégeance à l’« État juif », a reçu le Ministère des finances et aussi le contrôle de l’«administration civile » (en réalité militaire) de la Cisjordanie.

Ces deux hommes, qui sont eux-mêmes des colons installés en Cisjordanie, sont partisans de l’annexion à Israël de l’ensemble de ce territoire. Pour ces sionistes religieux, la « Judée-Samarie » fait partie de la « Terre d’Israël », donnée par Dieu au « peuple d’Israël ». Les Juifs y auraient donc seuls le droit de s’y installer, les « Arabes » n’y étant « tolérés » qu’à condition d’accepter la suprématie juive.

La première des vingt « lignes directrices » de ce nouveau gouvernement stipule : « Le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur toutes les parties de la Terre d’Israël. Le gouvernement encouragera et développera l’expansion de la présence juive dans toutes les parties de la Terre d’Israël – en Galilée, dans le Néguev, dans le Golan et en Judée-Samarie ». Voilà qui est clair. Ce 12 février 2023, on apprenait que neuf nouvelles colonies « illégales » (selon le droit israélien) allaient être « légalisées ».    

Avigdor Maoz, du petit parti Noam devient vice-ministre et chef d'une nouvelle agence gouvernementale de l'"identité juive nationale" au sein du bureau du Premier ministre. Il est désormais responsable de l’immigration, des ONGs étrangères et a obtenu un droit de regard sur les programmes scolaires. Il partage avec Smotrich et Ben Gvir un virulent racisme anti-arabe et le rejet de l’homosexualité. La lutte contre les droits des personnes LGBTQI est pour lui une priorité.

Pour s’imposer, cette coalition a profité de la faiblesse des partis dits de la « gauche sioniste » et de la division des partis dits « arabes ». Le Meretz, seul parti sioniste opposé à l’occupation et à la colonisation des territoires conquis en 1967, n’a pas réussi à atteindre le seuil électoral de 3.25 %, nécessaire pour obtenir des élus. Il en a été de même pour le Balad (« Ligue démocratique nationale »), parti antisioniste dont la majorité des électeurs sont des Palestiniens.

Depuis des dizaines d’années, d’élection en élection, de plus en plus nombreux sont les Juifs israéliens qui votent pour les partis les plus favorables à la poursuite de la colonisation des territoires occupés depuis 1967 ou pour les partis ultra-orthodoxes, qui ne s’y opposent pas.   

Le nombre grandit de ceux d’entre eux qui adhèrent à la vision simpliste mais cohérente des sionistes religieux pour lesquels la « Terre d’Israël » a été donnée par Dieu aux Juifs et à eux seuls. Parmi les Juifs israéliens moins ou non religieux, le mythe du retour sur la terre de leurs ancêtres qui en auraient été chassés il y a plus de deux mille ans est généralement accepté comme une vérité historique légitimant la « recréation » d’un « État juif » sur la « Terre d’Israël ». Maintenus par le système éducatif et les médias dominants dans la peur terrible des « Arabes », ils sont de plus en plus nombreux à considérer que le maintien de l’occupation militaire et l’augmentation du peuplement juif de la Cisjordanie et de Jérusalem-est sont indispensables à la sécurité de la population juive israélienne.  

Que reste-t-il de la démocratie israélienne ?                 

Sur l’ensemble de la Palestine historique, entièrement sous le contrôle d’Israël depuis 1967, la population juive est aujourd’hui redevenue légèrement minoritaire. Si l’ensemble des habitants de ce territoire en âge de voter avait pu participer à l’élection, il est évident qu’une telle coalition n’aurait pu voir le jour. Mais seuls les Palestiniens détenteurs de la citoyenneté israélienne (environ 2.000.000 de personnes), qui ne constituent qu’un peu plus d’un quart des Palestiniens vivant sous la domination israélienne, possèdent ce droit. Les 5.500.000 Palestiniens vivant dans les territoires occupés (Cisjordanie, Gaza, Jérusalem-est) en sont privés et n’ont donc pas pu participer au vote le 1er novembre. Il en est évidemment de même pour les Palestiniens exilés et descendants d’exilés (plus de 6.000.000 de personnes).

L’État d’Israël n’est une démocratie que pour ses citoyens juifs. Selon la définition juridique internationalement acceptée de ce terme[1], c’est un État d’apartheid. C’est ce que la CESAO (Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale) a établi dans un rapport officiel publié en mars 2017.[2]  C’est aussi la conclusion à laquelle sont parvenues, en 2021, deux organisations non gouvernementales ayant pour objet la défense des droits humains, l’israélienne B’Tselem, et l’internationale Human Rights Watch. En février 2022, Amnesty International a publié un rapport qui parvient à la même conclusion.

Mais cette « démocratie pour les Juifs » est elle-même de plus en plus attaquée par la droite sioniste.

À cet égard, l’assassinat, en novembre 1995, d’Yitzhak Rabin, alors Premier ministre d’Israël, témoignait  d’une fracture profonde, et déjà ancienne, dans la société juive israélienne. Yigal Amir, son assassin était un jeune sioniste religieux, admirateur, comme Itamar Ben Gvir, de Baruch Goldstein, ce médecin juif originaire de New York qui avait massacré 29 musulmans en prière et en avait blessé 125 en février 1994. Il était de ceux qui considéraient que le « Processus d’Oslo », qui avait commencé en 1993, était contraire à la volonté de Dieu et que ceux qui le promouvaient, même juifs, méritaient la mort. Ces « fous de Dieu » pour lesquels la « volonté divine » telle qu’ils la concevaient devait prévaloir sur les choix démocratiques des citoyens israéliens, étaient déjà nombreux à l’époque. Leur poids numérique et politique a considérablement augmenté depuis.

Les Juifs opposés à l’occupation, à la colonisation des territoires occupés et au blocus de Gaza se sentent de moins en moins en sécurité en Israël. Les militant·e·s des ONGs israéliennes qui défendent les droits des Palestiniens sont non seulement menacé·e·s physiquement par les membres des partis sionistes les plus extrémistes mais encore, victimes de mesures légales décidées par le Parlement où la droite sioniste domine désormais. C’est ainsi qu’en 2016 fut votée une loi dont le but était de diminuer les ressources financières de telles associations sous prétexte que leurs subsides provenaient pour plus de moitié de l’étranger. C’était le cas, entre autres, de B’Tselem, le centre israélien d’information pour les droits de l’Homme dans les territoires occupés.

En Israël, la Cour suprême a le pouvoir d’empêcher l’entrée en vigueur d’une loi, pourtant votée par le Parlement, qui serait contraire aux Lois fondamentales de l’État d’Israël faisant office de constitution. La nouvelle majorité veut mettre fin à ce pouvoir en imposant une « clause dérogatoire » permettant de revoter une loi refusée par la Cour suprême sans que celle-ci puisse cette fois s’y opposer.

Ainsi, par exemple, le nouveau parlement vient de voter en urgence une loi autorisant une personne reconnue coupable d’un crime, mais pas condamnée à la prison ferme, à obtenir un portefeuille ministériel,  ceci pour permettre à Aryeh Deri, chef du parti ultra-orthodoxe Shas, de redevenir ministre alors qu’il a été récemment condamné avec sursis pour fraude fiscale.[3] Cette loi a été invalidée par la Cour suprême et Aryeh Deri, à peine nommé a dû renoncer à son poste… provisoirement car cette loi pourrait tout de même entrer en vigueur grâce à la « clause dérogatoire ».

Autre exemple : si les députés votaient une loi permettant d’annuler ou de suspendre pendant la durée de son mandat de premier ministre le procès de M. Netanyahu pour corruption, et que la Cour suprême invalidait ensuite ce vote, l’introduction de la « clause dérogatoire » permettrait de ne pas tenir compte de cette décision de justice.

Pour le quotidien israélien Haaretz, le mandat de Yariv Levin, le nouveau ministre de la Justice (membre du Likoud) est clair : « détruire l’État de droit, les institutions et tout le système » en donnant le droit au Parlement d’outrepasser la justice.

Et maintenant ?

Avec un tel gouvernement, il ne fait guère de doute que la situation des Palestiniens va encore empirer, non seulement celle de ceux qui vivent en territoire occupé et sont soumis à l’arbitraire de l’armée israélienne mais aussi celle de ceux qui disposent de la citoyenneté israélienne. Et il est certain qu’Iels résisteront à ce nouveau « tour de vis ». Ce qui engendrera une répression toujours plus féroce de la part de ceux qui restent les plus forts. Pour la majorité des Juifs israéliens, la peur engendrant le rejet  des « Arabes » ne fera que grandir. Un cycle infernal.

Seules de fortes pressions extérieures sur les dirigeants israéliens rendraient possible une sortie de cette impasse. Face à ce gouvernement d’extrême droite, les États qui, depuis la création de l’État d’Israël, ont été d’une complaisance extrême avec ses dirigeants malgré leur non-respect systématique du droit international vont-ils enfin changer leur fusil d’épaule ? Rien n’est moins sûr. Tout dépendra de la mobilisation de leurs opinions publiques. De nous tou·tes, donc.        

************************** 



[2] A la suite de pressions exercées par les représentants des États-Unis et d’Israël, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a fait déclassifier ce rapport. Ce qui a entraîné la démission de la secrétaire exécutive de la CESAO, Rima Khalaf.

[3] En 2000 déjà, reconnu coupable de corruption, il avait purgé près de deux ans de prison.

dimanche 19 juin 2022

Validation du résultat des élections en Belgique : Il faut modifier d’urgence la Constitution

 PourEVA (Pour une Éthique du Vote Automatisé)

Source :  https://www.poureva.be/spip.php?article998 


Parmi les quarante-six États membres du Conseil de l’Europe, seuls trois d’entre eux - l’Italie, le Luxembourg et la Belgique - persistent à ce jour à maintenir la validation du résultat des élections par les élus eux-mêmes, sans recours possible.

En Belgique, cela concerne non seulement le Parlement fédéral mais aussi les parlements régionaux et de communauté ainsi que les parlements provinciaux de Wallonie, en vertu de l’article 48 de la Constitution, inchangé depuis 1831, et dont l’application a, depuis, été étendue aux entités fédérées. Ces parlements ont, seuls, le pouvoir de contester le résultat d’une élection et d’ordonner éventuellement que celle-ci soit refaite. On ne s’étonnera pas que cela ne soit jamais arrivé : pourquoi les élus remettraient-ils en question leur propre élection ?
Le 10 juillet 2020, par l’arrêt « Mugemangango contre Belgique », la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné l’État belge pour violation des articles 3 et 13 du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales. Ces articles concernent le droit à des élections libres et celui à un recours effectif. Germain Mugemangango, candidat du PTB aux élections régionales wallonnes de mai 2014, auquel il manquait 14 voix pour obtenir un siège de parlementaire dans l’arrondissement de Charleroi, s’appuyant sur l’allégation de différentes irrégularités, avait demandé un recomptage. Bien que la commission de vérification des pouvoirs du Parlement wallon avait déclaré sa demande recevable et fondée, elle lui a été refusée par les membres du même parlement réunis en assemblée plénière. Ces parlementaires validèrent donc les pouvoirs des élus de la province du Hainaut. Parmi les votants : les élus de la province du Hainaut ! [
1] C’est parce qu’il n’avait aucune possibilité de recours contre cette décision en Belgique qu’il avait fait appel à la CEDH.

De l’urgence de modifier la Constitution : la preuve par le « bug » de mai 2014

Dans le cas des élections communales, des recours contre le résultat d’une élection peuvent aboutir à son annulation. Cela s’explique parce que, dans ce type d’élection, ce ne sont pas les élus qui ont à juger de la pertinence d’un recours susceptible de remettre en cause leur propre élection. C’est ainsi, par exemple, que l’élection communale (informatisée) de Jurbise d’octobre 2000 a été annulée par le Conseil d’État [2] et a dû être refaite. Il en a été de même à Neufchâteau lors des élections communales (« papier ») d’octobre 2018 à la suite de laquelle il était apparu que de fausses procurations avaient été utilisées.
En toute logique démocratique, cela aurait aussi dû être le cas à Bruxelles et dans les communes germanophones lors des élections régionales, fédérales et européennes du 25 mai 2014. Mais les nouveaux élus, seuls habilités à décider en la matière selon l’article 48 de la Constitution belge, ont refusé d’invalider l’élection qui leur a permis d’être élus.
Il s’agit d’un scandale anti-démocratique dont il vaut la peine de rappeler les détails. [
3]
Dès le soir des élections, on apprend par la presse que dans trente-neuf communes wallonnes et 17 communes bruxelloises qui utilisaient le vote électronique sans preuve papier, des votes n’ont pas été comptabilisés. Les responsables du Ministère fédéral (SPF) de l’Intérieur affirment alors, sans être en mesure de le prouver, que ce problème ne concerne que les votes de préférence et n’affecte pas la répartition des sièges. Ce soir-là, avertis de cet incident, plusieurs présidents de bureaux principaux de circonscription chargés de recenser les voix, de répartir les sièges et de désigner les élus, refusent de valider le tableau de recensement des voix. Mais deux jours plus tard, sous la pression du SPF Intérieur, ils reviennent sur leur première décision et décident d’annuler les votes litigieux qui seraient à la source du bug, sans même encore en connaître le nombre (2.250) qui ne sera communiqué par le « collège d’experts chargés du contrôle des systèmes de vote et de dépouillement automatisés » que le 5 juin. [
4]
Les présidents des bureaux principaux de circonscription sont des magistrats et non des informaticiens. Ils sont donc forcément dépendants des firmes privées ayant fourni le matériel informatique utilisé pour les opérations électorales et du SPF Intérieur, qui n’offrent aucune garantie d’indépendance et d’impartialité : le Ministre de l’Intérieur appartient à une formation politique participant aux élections, son administration est sous son autorité et les firmes privées ont, quant à elles, un intérêt financier à minimiser les problèmes dont elles sont responsables.
Dans le rapport du collège d’experts chargés du contrôle du système de vote et de dépouillement automatisés, publié le 19 juin, il apparaît que, pour le SPF Intérieur et pour les firmes privées, ce qui importait n’était pas le respect de la légalité mais le déblocage rapide de la situation : « 
Lors de la découverte du bug après le scrutin, le Collège a constaté que la sécurité et les procédures étaient moins prioritaires qu’une résolution rapide du problème, ce qui entraina un travail précipité et de nouvelles erreurs. ». [5] La « résolution » du bug a elle-même entraîné son lot de bugs : le logiciel de décryptage a lui-même « buggé » [6], l’évaluation a donné lieu à une « erreur d’encodage manuel » [7], « les nombres de votes à annuler ont été mélangés » [8], le logiciel utilisé a « donné des résultats différents » [9], le nombre d’urnes corrompues ou manquantes a évolué de 27 à 57 [10].
Contrairement aux magistrats exerçant la fonction de président d’un bureau principal de circonscription, les parlementaires auxquels incombaient la validation des opérations électorales et la vérification de leurs propres pouvoirs disposaient du rapport du collège des experts au moment de devoir prendre leur décision. Ils savaient donc combien de bulletins de vote n’avaient pas été pris en compte dans la totalisation et l’éventuel impact qu’aurait pu avoir le « bug » sur la répartition des sièges. Selon le Conseil d’État et conformément aux standards internationaux, une irrégularité qui pourrait aboutir à une modification de la répartition des sièges doit entraîner l’annulation de l’élection. Or, dans le cas qui nous occupe, le collège des experts avait établi que c’était bien le cas dans deux assemblées : le Parlement de la Communauté germanophone et le Parlement régional bruxellois. Dans le premier, un siège aurait pu être attribué à un autre parti ; dans le second c’est la répartition des sièges entre des candidats d’une même liste qui aurait pu être différente.
Malgré cela, dès le 10 juin, le Parlement bruxellois valide l’élection par 52 voix pour, 9 contre et 28 abstentions, malgré neuf réclamations introduites devant lui. Et, en sa séance du 26 juin, le Parlement de la Communauté germanophone fait de même par 14 voix contre 11.

Les articles 48 et 142 doivent être ouverts à révision

L’arrêt du 20 juillet 2020 de la CEDH oblige l’État belge à agir pour qu’une procédure de recours compatible avec la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales puisse être élaborée. L’article 48 de la Constitution belge qui stipule que « Chaque Chambre vérifie les pouvoirs de ses membres et juge les contestations qui s’élèvent à ce sujet » doit donc être modifié. Dans le même but, plusieurs juristes et parlementaires qui se sont penchés sur la question s’accordent pour estimer qu’il serait également opportun d’offrir la possibilité de modifier l’article 142 qui concerne les compétences du Conseil constitutionnel car cette institution pourrait devenir l’instance devant laquelle un recours contre le résultat d’une élection pourrait être introduit.
Conformément à l’article 195 de la Constitution belge, ces deux articles doivent donc être déclarés révisables par le gouvernement et le Parlement fédéral actuels pour permettre au Parlement fédéral qui sera issu des prochaines élections, prévues pour 2024, de modifier enfin la Constitution de manière à rendre possible une réforme des procédures légales de recours contre les résultats d’une élection.
Tant que cela n’aura pas été fait et donc lors des prochaines élections, l’État belge s’expose à d’autres condamnations pour violation des articles 3 et 13 du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.
Il est à noter que, pour ce qui concerne les entités fédérées, ces modifications de la Constitution ne sont pas indispensables car c’est par une loi spéciale que la règle figurant dans l’article 48 de la Constitution a été étendue aux parlements régionaux et par une loi ordinaire qu’elle l’a été au Parlement de la Communauté germanophone. [
11] Les parlements concernés actuels pourraient donc modifier ces lois avant les élections de 2024. Il suffirait que la volonté politique de le faire y soit.


[1T.GAUDIN, "Le contrôle de l’élection directe", in Administration publique, revue du droit public et des sciences administratives, octobre 2020 (numéro spécial consacré à la publication des actes du colloque "Qui contrôle l’élection ?" tenu à Mons le 26 avril 2019), p.115.

[2À noter : dans son arrêt du 2 mars 2001 annulant l’élection communale de Jurbise, le Conseil d’État s’inquiétait de la grande dépendance de l’État aux firmes privées : une vérification de la totalisation n’est pas possible sans le logiciel d’une firme privée.

[3Les informations qui suivent proviennent principalement de "Le vote électronique : l’impossible contrôle ?", texte d’Anne-Emmanuelle Bourgaux, Professeure à l’École de droit de l’U-MONS, paru en octobre 2020 dans Administration publique..., op. cit. p. 115.

[4Il a finalement été établi que le "bug" concernait les votes d’électeurs qui, en toute légalité, avaient modifié leur vote avant de le confirmer (A.-E. BOURGAUX, op. cit., p. 141).

[5Rapport du collège d’experts chargés du contrôle du système de vote et de dépouillement automatisés. Élections simultanées du 25 mai 2014, 5.12.

[6Ibid., 5.7.1.

[7Ibid., 5.5.

[8Ibid., 5.6.3.

[9Ibid., 5.8.2.

[10Ibid, 5.8.4.

[11T. GAUDIN, op. cit., p. 117.