Texte collectif publié sur le site Internet du journal "Le Soir", le 13/07/2012
http://www.lesoir.be/debats/cartes_blanches/2012-07-13/le-boycott-d-israel-une-opinion-delictueuse-926603.php
Lors de sa séance du 21 mai 2012, le conseil d’administration de l’ULB a reconnu le “ comité BDS-ULB “ en tant que cercle étudiant. Cette reconnaissance avait été précédée d’une consultation du service juridique de l’ULB et d’un débat sérieux et argumenté au sein du CA. Cette décision a immédiatement provoqué un concert de protestations, en général furieuses, d’institutions ou de personnalités liées à Israël, incriminant l’appui apporté à l’antisémitisme qu’elle exprimerait, et ce au nom de ce que le co-président du “ parlement juif européen “, Joël Rubinfeld, appelle “ le caractère génocidaire de l’idéologie qui inspire la campagne BDS “ (La Libre Belgique, 10/05/2012).
Quel est en réalité le caractère de la décision prise par le CA de l’ULB ? Le fait d’autoriser un cercle BDS se limite à appliquer les règles communes en vigueur de liberté d’association et d’expression au sein de l’ULB à la question du boycott d’Israël, conçu comme forme d’action en solidarité avec les Palestiniens. L’ULB ne reprend pas à son compte ce boycott mais considère qu’il s’agit d’une orientation politique qui a le droit d’exister et de se faire entendre dans le débat en son sein. L’ULB a toujours autorisé un large spectre de cercles politiques et apparentés, allant de l’extrême gauche à l’extrême droite. Seuls des groupes à caractère raciste, notamment antisémite, ne peuvent bénéficier d’une telle liberté. En dehors d’eux, aucune censure n’est admissible dans une institution reposant sur le libre examen. Cette règle s’applique évidemment à la liberté de promouvoir la solidarité avec les Palestiniens tout comme à celle de soutenir l’État d’Israël.
Avant d’échanger des arguments pour ou contre le boycott d’Israël, il s’agit de savoir si cette question est ou non l’objet d’un débat. Ceux qui veulent interdire toute action ou toute propagande en faveur d’un boycott d’Israël refusent en fait tout débat. Ils se contentent d’une pétition de principe, en répétant inlassablement que boycotter Israël, c’est de l’incitation à la discrimination sur base de la nationalité israélienne, discours où l’on voit poindre en filigrane, quand elle n’est pas littéralement avancée, l’accusation d’antisémitisme. Ils exigent que l’ULB en tire des conclusions (répressives) avant même qu’une discussion n’ait eu lieu. Attitude en totale contradiction avec le principe fondateur du libre examen.
Nous considérons au contraire que la question d’un boycott d’Israël peut et doit être l’objet d’une discussion politique. Si on accepte d’en discuter, le débat peut et doit se mener sur deux plans :
1. Sur le plan des principes, peut-il être légitime d’appeler au boycott d’un Etat dont certaines violations du droit international sont des crimes de guerre (e.a., l’implantation de colonies israéliennes de peuplement dans les territoires palestiniens occupés) et de manifester ainsi sa solidarité avec les victimes de ces agissements ? Il y a eu d’innombrables précédents, en sens très divers, d’un tel mode d’action : boycott de l’Italie lors de l’agression contre l’Abyssinie, boycott de l’Afrique du sud pour cause d’apartheid, boycott partiel de l’Espagne franquiste pour cause de non-respect des libertés politiques et syndicales, boycott de Cuba pour refus d’indemniser les ressortissants US expropriés par Castro. Il n’a jamais été prouvé qu’appeler au boycott d’un Etat en rétorsion pour ses agissements est assimilable à un appel au génocide ou à la haine
2. Sur le plan de l’opportunité, un boycott d’Israël se justifie-t-il aujourd’hui ? Si oui, avec quelle ampleur, sous quelles formes, d’après quelle finalité précise, etc. ? Il s’agit alors d’un débat politique nécessaire, urgent, où inévitablement des positions contrastées se feront jour. Il est pleinement logique que certains avancent qu’un tel boycott est contre-productif, qu’il nuit aussi aux Palestiniens, qu’il éloigne la perspective de la paix, etc. Mais on est alors dans un échange d’arguments politiques et non dans du terrorisme intellectuel.
En Belgique et en France, une partie des autorités institutionnelles de la communauté juive s’est engagée dans une dénonciation sans nuance de l’ULB sur ce sujet. En assimilant sans autre forme de procès, comme s’il s’agissait d’une vérité d’évidence, boycott d’Israël et incitation à la discrimination, voire antisémitisme, ils dévoient leurs légitimes préoccupation et combat contre toute renaissance de l’antisémitisme et ils nuisent à la communauté juive en la faisant apparaître comme une sorte de lobby pro-Israël inconditionnel, alors même que la politique du gouvernement de cet Etat se manifeste comme plus injustifiable que jamais (relance de la colonisation, vague de persécution contre les réfugiés ou immigrés originaires d’Afrique).
Nous sommes persuadés de la justesse de la décision prise par le CA de l’ULB d’autoriser l’existence d’un cercle BDS. Une nouvelle décision en sens opposé contreviendrait non seulement aux critères libre-exaministes ordinaires en ce domaine, mais contribuerait à entretenir les fantasmes antisémites qui n’ont déjà que trop tendance à s’alimenter des retombées du conflit au Proche Orient.
Signataires membres et anciens membres de la communauté universitaire :
Marco ABRAMOWICZ, Mateo ALALUF, Ivan BEGHIN, Kenneth BERTRAMS, Jacques BUDE, Olivier CORTEN, Éric DAVID, Barbara DELCOURT, Michel DISPERSYN, Isi FISZMAN, Victor GINSBURGH, Corine GOBIN, Louise GOTOVITCH, Jean-Claude GRÉGOIRE, Jacqueline GRIPPA, Henri HURWITZ, Lolita IVEN ABRAMOWICZ, David JAMAR, Jean-Jacques JESPERS, Pieter LAGROU, Thérèse LIEBMANN, Renaud MAES, Philippe MARY, Nicole MAYER, Anne MORELLI, Jacques MORIAU, Suzanne MOUSSET, Claude NEMRY, Robert PLASMAN, Éric REMACLE, Brigitte ROEFS, Sylvie ROLIN, André SCHOROCHOFF, Michel STASZEWSKI, Marcelle STROOBANTS, Jean-Pierre THYS, Esther VAMOS, Dan VAN RAEMDONCK, Pierre VIART, Jean VOGEL, Laurent VOGEL.
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