En effet, contre la volonté des défenseurs d’un enseignement public
déconfessionnalisé, le pacte scolaire impose, jusqu’à ce jour, l’organisation
de cours de religion et de morale non-confessionnelle dans les écoles
publiques. Et, comme en témoignent les programmes et directives concernant les
différents « cours philosophiques », il s’agit bien ici d’instruction
religieuse et philosophique engagée et non pas d’un enseignement non prosélyte
des diverses doctrines et pratiques en la matière. Les décrets sur la neutralité de l’enseignement
officiel francophone[2]
distinguent d’ailleurs clairement le cas des professeurs de « cours
philosophiques » de celui de leurs collègues : les premiers sont
uniquement tenus de ne pas « dénigrer
les positions dans les cours parallèles » alors que des seconds il est
exigé de s’abstenir « de
toute attitude et de tout propos partisan dans les problèmes idéologiques,
moraux ou sociaux, qui sont d'actualité et divisent l'opinion publique »
et de « témoigner en faveur d'un
système philosophique ou politique, quel qu'il soit ».
Des écoles publiques «laïques » ?
Qu’on me comprenne bien. Je
sais que de nombreux élèves, tout particulièrement en milieu populaire, sont
croyants et le plus souvent pratiquants, de diverses religions. Et, à
l’adolescence, cet aspect de leur identité est généralement vécu par eux comme
très important. Si elle veut vraiment s’occuper de l’éducation de TOUS les
jeunes qui lui sont confiés, l’Ecole publique doit AUSSI se montrer
accueillante vis-à-vis des croyants pratiquants [3].
J’estime qu’une Ecole publique ouverte à tous ne peut pas être
« laïque » au sens philosophique du terme. C’est-à-dire qu’elle ne
peut exiger, ni des élèves, ni des enseignants qui la fréquentent d’adhérer à
une vision du monde et une philosophie de vie dégagées de toute référence à une
vérité révélée ou à l’existence d’entités surnaturelles. Mais l’Ecole publique,
dont les valeurs de base sont celles de la démocratie, doit être
« laïque » au sens politique du terme : elle ne doit prendre
parti pour ou contre aucun système philosophique ou religieux.[4]
J’estime que l’Ecole publique
doit initier les enfants et les adolescents au questionnement philosophique (le
sens de la vie, l’amour, la mort, les questions éthiques, …) et les instruire
des réponses proposées par les principales options philosophiques et
religieuses. Ce qui n’est pas le cas actuellement parce que l’état des choses
instauré par le Pacte scolaire ne favorise nullement les comparaisons et donc
la réflexion personnelle des enfants et des jeunes à propos de ces questions
existentielles. Car le fait de séparer les élèves et de les confiner dans des
« chapelles » idéologiques choisies une fois par an par leurs parents
(ou par eux-mêmes quand ils deviennent majeurs) favorise au contraire
l’endoctrinement et le repli communautaire.
Des cours organisés « en
chapelles »
Je ne dis pas que tous les
professeurs de « cours philosophiques » sont des propagandistes
mais je suis absolument certain que l’organisation actuelle favorise les
endoctrinements, d’autant plus que ce sont les organes représentatifs des
différentes confessions religieuses qui choisissent les professeurs des cours
de religion. Et ma longue expérience professionnelle dans l’enseignement public
(trente-sept années dans une bonne quinzaine d’écoles secondaires différentes),
me permet de témoigner du fait que, même si les professeurs de morale non
confessionnelle ne sont pas nommés par le Centre d’Action Laïque, cette
tendance à « prêcher pour sa chapelle » (laïque au sens philosophique
du terme dans ce cas) existe aussi dans le chef de beaucoup d’entre eux.
De plus, je trouve cette
séparation des élèves profondément préjudiciable du point de vue
symbolique : alors qu’ils sont réunis dans tous les autres cours [5],
on les sépare quand il s’agit d’aborder ces questions fondamentales. Qui
pourrait nier que cette manière de faire favorise les replis
communautaires ?
C’est pourquoi je suis tout à
fait favorable à ce que les cours dits « philosophiques », soient
remplacés par un seul cours de philosophie, non partisan, dont le but serait de
nourrir la quête identitaire de tous les jeunes par l’examen comparé des
réponses que les différents systèmes philosophiques, religieux ou non,
apportent aux questions existentielles qu’ils se posent forcément.
Un système coûteux et devenant
ingérable
Un argument d’un tout autre ordre plaide en faveur de la fin du système
imposé aux écoles officielles par le Pacte scolaire : l’accroissement du
nombre des cultes officiellement « reconnus » [6]. Ce
qui implique que les écoles officielles
sont obligées d’organiser de plus en plus de « cours philosophiques »
différents. Outre le fait que cela coûte très cher à la collectivité puisque
toutes les écoles officielles sont tenues d’instaurer un cours même s’il n’est
demandé que pour un seul élève, l’organisation en parallèle de tant de cours
différents posent des problèmes de planning de plus en plus complexes, voire
insolubles.
Une remise en question nécessaire
Remettre en question
l’organisation actuelle des « cours philosophiques » n’est pas un
combat gagné d’avance, d’autant plus que ce système est inscrit dans la
Constitution belge [7].
Mais il m’apparaît nécessaire car l’Ecole, devenue pour la quasi-totalité de la
population un passage obligé, du préscolaire au secondaire, n’est pas un
service au public comme un autre. Elle est une institution-clé de toute société
démocratique. En effet, contrairement à ce qui se passe dans le monde
associatif où les personnes se trouvent réunies en fonction de leurs affinités
(communauté de centres d’intérêts ou d’opinions, mêmes origines géographiques,
groupes d’entraide réunissant des personnes affrontant le même type de
difficultés, …), les écoles, au moins celles qui appartiennent aux différents
réseaux publics, font se fréquenter sur le long terme des enfants et des jeunes
qui ne sont pas réunis sur base de leurs goûts, leurs opinions ou leurs
appartenances culturelles.
Elles constituent par
conséquent des mini-sociétés où peut s’expérimenter le vivre ensemble. Si cette
expérience se passe mal, c’est-à-dire si les élèves vivent comme une épreuve
désagréable, voire douloureuse la fréquentation quotidienne d’élèves - et de
professeurs - issus de « mondes » différents, cela laisse mal
augurer de la manière dont ils appréhenderont ensuite le monde « du
dehors ». Il vaut donc la peine de se battre pour que les enfants et les
adolescents issus de milieux culturels différents puissent être initiés
ENSEMBLE aux questionnements et au débat philosophique et éthique plutôt que de les laisser confinés dans des "chapelles" qui s'ignorent les unes les autres.
[1] Cf. SÄGESSER, C., Les cours de religion et de morale dans
l’enseignement obligatoire, Courrier hebdomadaire du CRISP n° 2140-2141,
Bruxelles, 2012. Je recommande la lecture de cette étude très fouillée qui
décrit, entre autres, des différences significatives entre les deux grandes
communautés linguistiques de Belgique.
[2] Décret définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté (31/03/1994) et Décret organisant la neutralité inhérente à l’enseignement officiel subventionné (17/12/2003).
[3] Ceci implique d’ailleurs selon moi une attitude compréhensive vis-à-vis du port de signes religieux à l’école par les élèves (cf. STASZEWSKI, M., Pour des écoles publiques pluralistes, in MRAXinfo, n° 184, septembre-octobre, 2008, pp 4 à 6 - http://michel-staszewski.blogspot.be/2011/07/pour-des-ecoles-publiques-pluralistes.html). Mais ce n’est pas l’objet du présent article.
[4] Lire à ce sujet JACQUEMAIN, M. et ROSA-ROSSO, N. (dir.), Du bon usage de la laïcité, Aden, Bruxelles, 2008 et, en particulier l’article Les deux laïcités, pp. 5 à 9.
[5] Sauf celui d’éducation physique, cas particulier dont il ne sera pas question ici.
[6] En 1959 étaient seuls « reconnus », les cultes catholique, protestant et israélite ainsi que la morale non-confessionnelle. Se sont ajoutées depuis lors, les religions orthodoxe, islamique et anglicane. Le bouddhisme est pressenti pour devenir la prochaine philosophie « reconnue ».
[7] Dans son article 24 : «Les écoles organisées par les pouvoirs publics offrent, jusqu’à la fin de l’obligation scolaire, le choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle ».
[2] Décret définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté (31/03/1994) et Décret organisant la neutralité inhérente à l’enseignement officiel subventionné (17/12/2003).
[3] Ceci implique d’ailleurs selon moi une attitude compréhensive vis-à-vis du port de signes religieux à l’école par les élèves (cf. STASZEWSKI, M., Pour des écoles publiques pluralistes, in MRAXinfo, n° 184, septembre-octobre, 2008, pp 4 à 6 - http://michel-staszewski.blogspot.be/2011/07/pour-des-ecoles-publiques-pluralistes.html). Mais ce n’est pas l’objet du présent article.
[4] Lire à ce sujet JACQUEMAIN, M. et ROSA-ROSSO, N. (dir.), Du bon usage de la laïcité, Aden, Bruxelles, 2008 et, en particulier l’article Les deux laïcités, pp. 5 à 9.
[5] Sauf celui d’éducation physique, cas particulier dont il ne sera pas question ici.
[6] En 1959 étaient seuls « reconnus », les cultes catholique, protestant et israélite ainsi que la morale non-confessionnelle. Se sont ajoutées depuis lors, les religions orthodoxe, islamique et anglicane. Le bouddhisme est pressenti pour devenir la prochaine philosophie « reconnue ».
[7] Dans son article 24 : «Les écoles organisées par les pouvoirs publics offrent, jusqu’à la fin de l’obligation scolaire, le choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues et celui de la morale non confessionnelle ».
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