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mardi 19 février 2013

Pédagogie différenciée dans un cours d’histoire : description d'une pratique


Une version revue et raccourcie de ce texte est parue sous le titre
"Faire feu de tout bois"
dans le n° 503 des Cahiers pédagogiques (février 2013, pp. 21-22)


 
J’enseigne l’histoire dans les quatre dernières années de l’enseignement secondaire, dans une école publique d’un quartier populaire de Bruxelles. Si sa population scolaire est relativement homogène du point de vue des appartenances sociales, elle l’est nettement moins pour ce qui est de l’origine et les options philosophiques des familles. Les élèves de culture « arabo-musulmane » prédominent ; d’autres sont d’origines européennes, africaines et asiatiques très diverses, ainsi que « belgo-belge ». Un grand nombre n’utilise pas ou peu le français en famille et certains ne sont pas nés en Belgique. J’ai généralement en charge dix classes de vingt à trente élèves. Je peux le plus souvent les suivre durant trois ans car je suis le seul professeur de l’établissement à enseigner l’histoire aux élèves des trois dernières années de l’école secondaire.

                  Mes choix éthiques et pédagogiques


Il m’apparait que la pédagogie différenciée n’a de sens et d’intérêt que si elle s’inscrit dans certaines convictions éthiques et pédagogiques. C’est pourquoi, je pose d’emblée ces convictions avant de décrire ce qui, dans mes pratiques, traduit ces choix de prise en compte de la singularité et des spécificités de chaque élève en vue de favoriser les apprentissages de tous.

J’ai fait mien le « postulat d’éducabilité » : je considère que tous les élèves sont capables d’apprentissages complexes et je ne veux laisser aucun des élèves qui me sont confiés « sur le bord du chemin ».

Je suis, par ailleurs, un enseignant constructiviste[1] : je considère qu’on apprend à partir de et « contre » ce qu’on sait déjà ou ce qu’on croit savoir. Les apprentissages ne sont donc possibles qu’à partir de l’état des connaissances des élèves en la matière. Et cet état est toujours variable. Non seulement à cause des éléments de diversité cités ci-avant, qui ne sont pas présents partout, mais aussi du fait d’antécédents scolaires différents.

De ces options éthiques et pédagogiques, il découle que mes objectifs finaux restent les mêmes pour tous les élèves mais que les itinéraires d’apprentissage pour les atteindre doivent pouvoir varier. Mes actions pédagogiques doivent donc être adaptées, dans la mesure du possible, non seulement en fonction des besoins de chaque groupe-classe mais aussi de chaque individu.

Mes pratiques


Tenir compte des  histoires et des cultures familiales des élèves 

Un des objectifs principaux de mon cours d’histoire est de faire en sorte que les élèves qui me sont confiés se vivent comme acteurs et non spectateurs de l’Histoire. Ceci justifie le fait que je veille, dans la mesure du possible et sans transiger sur les objectifs du cours, les mêmes pour tous, à prendre appui sur des éléments de leurs histoires familiales respectives en rapport avec les savoirs historiques étudiés.  

Cette manière de procéder a également pour but de favoriser l’implication de l’ensemble des élèves dans les processus d’apprentissage. Elle vise aussi à faire en sorte qu’ils se sentent reconnus chacun dans leur singularité.

Elle me permet enfin d’appuyer mon enseignement sur des connaissances et des pseudo-connaissances extra-scolaires et d’adapter mes actions pédagogiques et didactiques en conséquence (ce point est développé dans le paragraphe suivant).  

J’insiste sur le fait que ceci doit être fait avec prudence : il ne s’agit aucunement d’obliger les élèves à révéler des éléments de leur histoire et de leurs identités culturelles familiales mais seulement de les inciter à le faire, dans des limites bien précises, définies en fonction d’objets d’apprentissage clairement circonscrits. 

Deux exemples : 

-        Un cours de quatrième année (classe de seconde en France) consacré à la crise de la chrétienté aux XVe et XVIe siècles.  La majorité des élèves sont croyants et plus ou moins pratiquants de diverses religions. Je fais appel à leurs connaissances ou pseudo-connaissances en la matière pour leur faire comprendre ce qui distingue leur propre religion des doctrines et pratiques religieuses dont l’étude est prévue au programme. 

-        Après un rappel succinct de ce que sont une colonie et une métropole (notions déjà étudiées précédemment dans d’autres contextes), j’entame un cours de cinquième (classe de première en France) consacré à l’impérialisme des puissances industrielles des XIXe et XXe siècle, en posant la question suivante à l’ensemble des élèves : « votre famille est-elle issue d’une ancienne colonie, d’une ancienne métropole ou des deux ? » Ils choisissent une des trois solutions en levant la main puis je procède à un tour de parole à l’occasion duquel chacun à l’occasion de justifier sa réponse.

Cet exemple d’activité constitue aussi un cas particulier de ce que je décris ci-après.
   

Travail sur les représentations mentales préalables

Pour chaque objet d’apprentissage, pour pouvoir tenir compte de l’état variable des connaissances de chaque élève, il faut faire apparaître les représentations mentales préalables du savoir concerné. J’utilise pour cela diverses techniques. Deux exemples des techniques auxquelles je fais appel pour aborder un nouvel apprentissage :

-        Les définitions spontanées : il est demandé à chaque élève de rédiger seul, sans aucune documentation, la définition d’un concept (noblesse, dictature, révolution industrielle, impérialisme, syndicat, …). Ces définitions sont lues et comparées. Je profite de l’exercice pour repérer les erreurs des élèves de manière à pouvoir les traiter dans la suite du cours.

-        Les questions préalables : à propos d’un contenu d’enseignement donné, je demande aux élèves de répondre individuellement  à quelques questions, par écrit et sans aucune aide ni documentation. Je crée ensuite des groupes de trois à cinq élèves (composés par moi de manière réfléchie – voir paragraphe suivant)  qui reçoivent pour consigne de produire des réponses collectives aux mêmes questions. Consigne supplémentaire : noter les questions que les membres de chaque sous-groupe se seront posées en faisant ce travail. Ces productions (réponses collectives aux questions du professeur et questions issues des discussions au sein des sous-groupes) sont ensuite lues publiquement puis relevées par moi. J’organise alors la suite du cours en tenant compte des erreurs repérées dans les réponses proposées et des questions émanant de ces sous-groupes.  

De l’intérêt des phases de travail solitaire et en sous-groupes

Bien plus que les phases de travail en groupe-classe, les moments d’activité scolaire solitaire et en sous-groupes permettent des interventions différenciées du professeur : pendant que les élèves, seuls ou en sous-groupes sont occupés à réaliser une tâche semi-autonome sur la base de mes consignes, je peux prendre le temps de les observer et, sur la base des « diagnostics » que j’établis au moment même,  décider d’une intervention ciblée à l’attention d’un élève ou d’un sous-groupe. Je peux aussi décider d’intervenir sur demande et adapter mon intervention aux besoins que j’aurai évalués pour cet élève ou ce groupe.

Mes interventions peuvent consister à apporter une aide particulière à l’un des élèves ou des sous-groupes sous forme d’un conseil ou d’un renseignement mais aussi à leur confier une tâche supplémentaire s’ils sont en avance sur les autres.  

Si j’interviens de manière ciblée, sur la base d’un « diagnostic » au cours de travaux solitaires ou en sous-groupes, je ne propose que rarement d’emblée des activités différenciées : tous les élèves ou les sous-groupes ont à réaliser le même type de tâche, voire une tâche identique, et sont confrontés aux mêmes types de difficultés.  

Pour ce qui concerne l’organisation des sous-groupes, je veille à ce que leur composition varie à chaque fois (c’est moi qui les compose) pour permettre des complémentarités multiples et que chaque élève s’exerce aux diverses responsabilités qui doivent être remplies dans chaque sous-groupe, les principales étant celles d’animateur, de secrétaire et de porte-parole. Quand je le juge nécessaire, j’agis en tant que personne-ressource pour aider les élèves à exercer ces fonctions.

Diversifier les supports de la communication

Ma formation en « gestion mentale »[2] m’a fait prendre conscience que les « profils d’apprentissages »  sont variables…. et que les enseignants ont spontanément  tendance à croire que tous les élèves apprennent de la même manière qu’eux. Cette formation m’a appris que je suis un « visuel dominant » c’est-à-dire une personne qui retient spontanément mieux ce qu’elle voit que ce qu’elle entend et qui a tendance à se représenter les réalités plutôt sous forme d’images que de sons. Je sais maintenant aussi que certains types de représentations graphiques me conviennent mieux que d’autres… et que les élèves n’apprennent pas tous comme moi. C’est pourquoi, autant pour faciliter pour chacun l’appropriation des savoirs (au sens large) que pour les amener à développer de nouveaux savoir-faire, je veille à diversifier les supports de communication : présentations orales (récits, exposés), textes de différents types, représentations schématiques variées, dessins, photos, documents audio ou audio-visuels.

Varier les types d’activités

A côté du choix des supports de la communication, je m’efforce aussi de diversifier les types d’activités que j’organise. Les démarches proposées seront tantôt inductives (d’abord analyser des situations concrètes, puis pousser à la généralisation, à l’abstraction), tantôt déductives (partir de la définition d’un concept pour le faire concrétiser par la recherche et l’analyse d’exemples). Je fais étudier toutes sortes de documents, mais aussi créer des documents imaginaires. J’organise aussi de temps à autres des jeux de rôles.  

Cette variation a premièrement pour but que tous les élèves « y trouvent leur compte », autrement dit, qu’à un moment ou un autre ils se sentent plus en confiance car mis face à un type de tâche qui leur semblera plus accessible parce que plus familier. Autre finalité importante de cette diversification : favoriser le fait que les élèves développent la gamme de leurs savoir-faire intellectuels.

S’intéresser aux erreurs des élèves

Les erreurs des élèves sont des informations indispensables pour comprendre d’où viennent leurs difficultés d’apprentissage. Ces erreurs me permettent d’orienter mes interventions[3]. S’y intéresser m’apparaît être une condition indispensable à la pratique d’une pédagogie différenciée digne de ce nom. Les activités en tous genres auxquelles je confronte les élèves, dans la mesure où il s’agit de véritables situations-problèmes (c’est-à-dire de dispositifs didactiques qui les confrontent à un savoir nouveau pour eux), amènent inévitablement les apprenants à commettre des erreurs. L’absence d’erreur est d’ailleurs un indice que l’activité ne convient pas, qu’elle n’apprend rien aux élèves.
 

Mais pour favoriser l’expression de ces erreurs, il faut que les élèves se sentent en confiance : l’erreur ne peut donc en aucun cas être dépréciée : elle ne peut faire l’objet ni de railleries, ni de reproches, ni être pénalisée par une note négative. C’est d’ailleurs pourquoi, fonctionnant dans un contexte scolaire où sont exigées de nombreuses épreuves d’évaluations à valeur certificative (cinq moments obligatoires par an dont trois doivent donner lieu à plusieurs interrogations écrites), j’ai « détourné » le système en créant des épreuves « notées à l’essai » : les productions des élèves sont notées comme s’il s’agissait de véritables interrogations écrites mais les notes ne sont prises en compte pour la certification que si elles s’avèrent supérieures à la note qu’obtiendra l’élève au seul véritable « contrôle des connaissances » pour l’échéance certificative concernée. L’élève peut ainsi augmenter sa « note de période ».[4]  

Prendre en compte les erreurs des élèves implique évidemment d’être prêt à consacrer du temps, durant les cours, à l’imprévu. Cela m’amène aussi parfois à des actions pédagogiques individuelles qui ont lieu en dehors des périodes de cours.   

Interventions individuelles en marge des cours 

Sur mon initiative ou à la demande d’un élève qui éprouve des difficultés persistantes, en particulier en matière de compréhension de textes, je propose un exercice supplémentaire que je corrige. Après quoi j’ai un entretien avec l’élève qui me permet de mieux comprendre d’où proviennent ses erreurs de compréhension et de lui prodiguer des conseils ciblés. Je répète cette procédure au besoin plusieurs fois.

Je permets systématiquement la renégociation d’une note… à condition que cela se fasse en dehors des heures de cours, sur rendez-vous et après la correction collective de la production concernée en classe. Dans la grande majorité des cas, les élèves qui contestent la note obtenue pour un travail qu’ils ont réalisé le font de bonne foi : ils croient sincèrement que leur travail « vaut mieux que ça ». Il arrive que je leur donne raison et que je modifie la note en leur faveur. Mais le plus souvent ces rencontres sont l’occasion d’un entretien pédagogique qui va me permettre une intervention ciblée susceptible de faire comprendre à l’élève ce qu’il n’avait pas saisi durant la correction collective du travail en question. 

Pour conclure


J’enseigne depuis trente-six ans. Malgré un contexte institutionnel qui est loin de me satisfaire, je garde le goût du métier. Je pense que ce qui l’explique en grande partie est que chaque cours reste différent. Car chacun des groupes-classe et chacun des élèves sont singuliers et que, restant attentif à ces singularités, je suis amené à devoir imaginer tous les jours de nouvelles solutions à de nouveaux problèmes. Le contraire de la routine. 

 

                 Michel Staszewski  Juillet 2012

 



[1] Cf. Bernard REY et Michel STASZEWSKI, Enseigner l’histoire aux adolescents. Démarches socio-constructivistes, de Boeck, 2010 (2e édition). 
[2] Cf. Jean-Paul CHICH, Michelle JACQUET, Nadette MERIAUX et al., Pratique pédagogique de la gestion mentale, Retz, 1991.
[3] Cf. Jean-Pierre ASTOLFI, L’erreur, un outil pour enseigner, ESF, 1997.
[4] Pour plus de détails, lire « Questions d’évaluation » in B. REY et M. STASZEWSKI, op. cit., pp. 91 à 99. 

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