Citoyenneté, cours philosophiques, éthique et philo :
comment enseigner des valeurs à l’école ?
comment enseigner des valeurs à l’école ?
Contribution de Michel Staszewski (avril 2013)
Le texte qui suit a été rédigé dans le cadre de "Citoyens engagés", une opération de réflexion collective initiée par le Parti socialiste et l’Institut Emile Vandervelde. Au total, plus de 120 questions portant sur des enjeux actuels de société ont été soumises à un large débat : de la régulation financière à l’accès au logement, de la mixité dans l’enseignement à la mobilité en ville, du financement de la sécurité sociale à l’encadrement du crédit à la consommation, du soutien à la création d’emplois aux combats féministes du 21e siècle, de l’avenir des services publics au militantisme politique…
A lire aussi sur le site Internet citoyensengages.be
1. Contexte
1a L’Ecole,
lieu d’apprentissage du vivre ensemble
Dans le même temps a crû le
nombre des immigrés et la diversité de leurs origines géographiques. Ce qui a
encore augmenté l’hétérogénéité de la population scolaire puisqu’aux
différences culturelles liées à l’appartenance à différentes classes sociales
s’est ajoutée une diversité ethnique et philosophico-religieuse de plus en plus
grande, particulièrement prononcée dans les villes.
Cette évolution
rapide et fondamentale a été, jusqu’ici, très insuffisamment prise en compte
par le système scolaire. C’est ainsi, par exemple, que, quel que soit le niveau
d’enseignement où ils fonctionnent, les enseignants sont, encore aujourd’hui,
fort peu formés à gérer cette diversité. La recherche en sociologie de
l’éducation a pourtant, depuis longtemps, largement démontré que les
principales victimes de ce manque d’outillage professionnel des enseignants
sont les élèves issus de milieux culturellement les plus éloignés de la culture
dominante de l’Ecole, à savoir ceux qui sont issus de familles pauvres.
Et cette distance à la culture scolaire s’accroit
encore si ces élèves de milieux socialement défavorisés sont, en plus d’origine
étrangère.[1]
Une autre donnée à prendre en compte est le
fait que dans
l’enseignement officiel aussi bien que dans l’enseignement confessionnel, de
très nombreux élèves, tout particulièrement en milieu populaire, sont croyants
et le plus souvent pratiquants, de diverses religions. Et, à l’adolescence, cet
aspect de leur identité est généralement vécu par eux comme très important. Si
elle veut vraiment s’occuper de l’éducation de TOUS les jeunes qui lui sont confiés,
l’Ecole publique doit AUSSI se montrer accueillante vis-à-vis des croyants
pratiquants.
1b A propos des « cours
philosophiques » dans l’enseignement officiel
L’organisation actuelle
des « cours philosophiques » dans l’enseignement officiel en Belgique
date, pour l’essentiel, du « pacte scolaire », conclu en 1959 pour
mettre fin à la « guerre scolaire » opposant les défenseurs de
l’enseignement officiel (public) à ceux de l’enseignement catholique. Elle
reflète le rapport de force existant à l’époque entre les deux
« camps », très à l’avantage des partisans de l’enseignement
confessionnel.[2]
En effet, contre la
volonté des défenseurs d’un enseignement public déconfessionnalisé, le pacte
scolaire impose, jusqu’à ce jour, l’organisation de cours de religion et de
morale non-confessionnelle dans les écoles publiques. Et, comme en témoignent
les programmes et directives concernant les différents « cours
philosophiques », il s’agit bien ici d’instruction religieuse et
philosophique engagée et non pas d’un enseignement non prosélyte des diverses
doctrines et pratiques en la matière.
Les décrets sur la neutralité de l’enseignement officiel francophone
distinguent d’ailleurs clairement le cas des professeurs de « cours
philosophiques » de celui de leurs collègues : les premiers sont
uniquement tenus de ne pas « dénigrer
les positions dans les cours parallèles » alors que des seconds il est
exigé de s’abstenir « de toute
attitude et de tout propos partisans dans les problèmes idéologiques, moraux ou
sociaux, qui sont d'actualité et divisent l'opinion publique » et de « témoigner en
faveur d'un système philosophique ou politique, quel qu'il soit » [3].
Il
semble exister aujourd’hui un large consensus pour défendre l’idée que l’Ecole
publique devrait initier les enfants et les adolescents au questionnement
philosophique (le sens de la vie, l’amour, la mort, les relations sociales, les
questions éthiques, …) et les instruire des réponses proposées à ces questions
par les principales options philosophiques et religieuses. Mais c’est rarement
le cas actuellement parce que l’état des choses instauré par le Pacte scolaire
ne favorise nullement les comparaisons et donc la réflexion personnelle des
enfants et des jeunes à propos de ces questions existentielles. En effet, le
fait de séparer les élèves et de les confiner dans des « chapelles »
idéologiques choisies une fois par an par leurs parents (ou par eux-mêmes quand
ils deviennent majeurs) favorise au contraire l’endoctrinement et le repli
communautaire. Je ne dis pas que tous les professeurs de « cours
philosophiques » sont des propagandistes mais je suis absolument certain
que l’organisation actuelle favorise les endoctrinements, d’autant plus que ce
sont les organes représentatifs des différentes confessions religieuses qui
choisissent les professeurs des cours de religion. Et ma longue expérience
professionnelle dans l’enseignement public (trente-sept années dans une bonne
quinzaine d’écoles secondaires différentes), me permet de témoigner du fait
que, même si les professeurs de morale non confessionnelle ne sont pas nommés
par le Centre d’Action Laïque, cette tendance à « prêcher pour sa
chapelle » (laïque au sens philosophique du terme dans ce cas) existe
aussi dans le chef de beaucoup d’entre eux.
De
plus, je trouve cette séparation des élèves profondément préjudiciable du point
de vue symbolique : alors qu’ils sont réunis dans tous les autres cours[4],
on les sépare quand il s’agit d’aborder ces questions fondamentales. Qui
pourrait nier que cette manière de faire favorise les replis
communautaires ?
Un argument d’un tout
autre ordre plaide en faveur de la fin du système imposé aux écoles officielles
par le Pacte scolaire : l’accroissement du nombre des cultes
officiellement « reconnus ». En 1959 étaient seuls « reconnus »,
les cultes catholique, protestant et israélite ainsi que la morale
non-confessionnelle. Se sont ajoutées depuis lors, les religions orthodoxe,
islamique et anglicane. Et le bouddhisme est pressenti pour devenir la
prochaine philosophie « reconnue ». Ceci a pour conséquence que les
écoles officielles sont obligées d’organiser de plus en plus de « cours
philosophiques » différents. Outre
le fait que cela coûte très cher à la collectivité puisque toutes les
écoles officielles sont tenues d’instaurer un cours même s’il n’est demandé que
pour un seul élève, l’organisation en parallèle de tant de cours différents
posent des problèmes de planning de plus en plus complexes, voire insolubles.
1c Apprendre la démocratie à l’école par la
pratique
A ma connaissance, il
n’existe pas de données statistiques concernant la mise en pratique du « Décret relatif au renforcement de
l’éducation à la citoyenneté responsable et active au sein des établissements
organisés ou subventionnés par la Communauté française » du
12 janvier 2007, et, en particulier, de son titre IV consacré à la « mise
en place de structures participatives pour les élèves ». Même si quelques études de cas ont été publiées. Pour ce que j’ai pu
observer par moi-même, il me semble que peu de choses ont été réalisées en la
matière et que là où des systèmes de représentation des élèves (délégués de
classe, conseils de délégués, représentants des élèves aux conseils de
participation) ont été institués, ils sont insuffisamment pris au sérieux par
les équipes éducatives, dont les membres ne sont que très rarement formés à
l’accompagnement des élèves dans ce type d’apprentissage.
Ce qui a pour conséquence de décourager les élèves qui s’investissement dans les fonctions et institutions créées dans ce cadre.
Ce qui a pour conséquence de décourager les élèves qui s’investissement dans les fonctions et institutions créées dans ce cadre.
2. Enjeux
Les enjeux sont de
taille car l’Ecole, devenue pour la quasi-totalité de la population un passage
obligé, du préscolaire au secondaire, n’est pas un service au public comme un
autre. Elle est devenue une institution-clé de toute société démocratique. En
effet, contrairement à ce qui se passe dans le monde associatif où les
personnes se trouvent réunies en fonction de leurs affinités (communauté de
centres d’intérêts ou d’opinions, mêmes origines géographiques, groupes
d’entraide réunissant des personnes affrontant le même type de difficultés, …),
les écoles, au moins celles qui appartiennent aux différents réseaux publics,
font se fréquenter sur le long terme des enfants et des jeunes qui ne sont pas
réunis sur base de leurs goûts, leurs opinions ou leurs appartenances
culturelles. Elles constituent par conséquent des mini-sociétés où peut
s’expérimenter le vivre ensemble. Si cette expérience se passe mal,
c’est-à-dire si les élèves vivent comme une épreuve désagréable, voire
douloureuse la fréquentation quotidienne d’autres élèves - et de professeurs -
issus de « mondes » différents, cela laisse mal augurer de la
manière dont ils appréhenderont ensuite le monde « du dehors ». Le
combat pour développer la « mixité sociale » dans les écoles est donc
primordial, non seulement pour garantir l’accès de tous à un enseignement de
qualité mais également pour favoriser la paix civile, dans une Société qui est
devenue largement multiculturelle.
3. Propositions concrètes
3a. Pour que les écoles publiques soient des lieux vraiment ouverts et accueillant pour tous quels que soit le genre, l’origine sociale ou ethnique, l’option philosophique des élèves, et favorisant la culture du débat intellectuel, il faudrait :
·
Que la formation initiale et la formation
continuée des enseignants comporte un volet de sociologie de l’éducation visant
à leur faire prendre conscience des problèmes pédagogiques que posent
l’hétérogénéité sociale, ethnique et philosophique des populations scolaires et
à en tenir compte dans leurs pratiques pédagogiques. Cette formation doit
prioritairement avoir pour but de provoquer, chez les enseignants une prise de
conscience de leurs propres préjugés sexistes, « classistes »,
racistes (au sens large) et/ou « philosophiques ». Atteindre un tel objectif n’est pas possible
si ces « formations » se limitent à une information donnée par le
moyen d’exposés ex cathedra. Elles nécessitent au contraire des pédagogies
actives susceptibles de combattre les préjugés en la matière des enseignants ou
futurs enseignants. Ceci ne se fera pas sans moyens financiers supplémentaires.
·
Que les écoles publiques manifestent symboliquement leur volonté
d’ouverture à la diversité ethnico-philosophique en acceptant le port de signes d’appartenance
philosophique par les élèves dans des limites à négocier.
Devraient cependant être interdits :
Devraient cependant être interdits :
o
le port de signes indiquant une appartenance
politique partisane car cela constituerait un acte de prosélytisme ;
o
tout élément
témoignant d’une adhésion à un système politique ou philosophique
incitant à une forme ou une autre de racisme.
·
Que les « cours philosophiques » tels
qu’ils sont conçus et organisés actuellement dans les écoles publiques en vertu
du Pacte scolaire de 1959 soient remplacés par un cours unique (le même pour
tous) d’initiation aux questions et aux principaux courants philosophiques. Ce
cours aurait un titulaire formé à la didactique de la philosophie. Il serait,
comme tous ses collègues, soumis aux décrets sur la « neutralité » de
l’enseignement (qui prohibe le prosélytisme) mais, dans le cadre de ce cours, il
pourrait accueillir occasionnellement des personnes engagées philosophiquement pour
témoigner de leur engagement personnel. Si cela se fait, cela devrait être
institué officiellement (prévu dans les programmes) de manière à ne pas
privilégier un seul ou quelques courants.
Une marge de choix devrait cependant être laissée aux titulaires de ces
cours, de manière à leur permettre de tenir compte de contextes particuliers
(exemple : le fait que dans une école ou dans une classe soient surreprésentée
une même minorité religieuse, par ailleurs peu présente en Belgique).
Remarques
Remarques
o
La mise en pratique de cette proposition
pourrait permettre des économies non négligeables.
o
Elle provoquerait aussi des pertes d’emploi pour
les professeurs enseignant les différentes religions « reconnues ».
Ce problème doit être résolu par les pouvoirs publics mais ne peut pas servir
de prétexte à l’immobilisme en la matière.
3b Pour que
les écoles publiques soient des lieux d’apprentissage de la citoyenneté :
Il faudrait que
le « Décret relatif au renforcement
de l’éducation à la citoyenneté responsable et active au sein des
établissements organisés ou subventionnés par la Communauté française » du 12 janvier 2007 soit réellement mis en
œuvre dans tous les établissements scolaires. La partie de loin la plus
importante de ce décret, la plus susceptible de favoriser l’apprentissage de la
citoyenneté démocratique (active et responsable) et des valeurs qui lui sont
sous-jacentes, est, selon moi, celle qui concerne la « mise en place de structures participatives
pour les élèves » (Titre IV). Elle stipule que les écoles ont à organiser
chaque année l’élection d’un ou plusieurs délégués par classe de la cinquième
primaire à la fin de l’enseignement secondaire. L’ensemble des délégués de classe d’un même
cycle ou degré formant le Conseil des délégués d’élèves. Ces Conseils qui,
selon le décret, doivent se réunir au
moins six fois par an, sont censés constituer des espaces de paroles destinés
« à analyser des problèmes relatifs
à l’école ou à certaines classes ». Ils ont pour mission de « centraliser et de relayer les questions,
demandes, avis et propositions des élèves au sujet de la vie de l’école auprès
du Conseil de participation, du Chef d’établissement et du Pouvoir
organisateur. Il a également pour mission d’informer les élèves des différentes
classes des réponses données par le Conseil de participation, le Chef
d’établissement ou le Pouvoir organisateur ». « L’ensemble des conseils de délégués d’élèves
se réunit au moins une fois par an pour débattre de questions prioritaires et,
le cas échéant, élire les délégués d’élèves au Conseil de participation »
(article 17). « Dans chaque cycle ou
degré, deux membres de l’équipe éducative au moins sont désignés
accompagnateurs du projet « Conseil d’élèves » » (article
18).
Ce décret ne
prévoit aucune modalité de contrôle de son application. C’est très probablement
une des raisons qui explique qu’il n’est très souvent pas appliqué. Je prône donc que le pouvoir subsidiant
vérifie régulièrement l’application réelle du contenu de ce décret et se donne
les moyens de le faire appliquer.
Pour favoriser
ces apprentissages de la citoyenneté active par les élèves, l’ensemble du personnel éducatif devrait être
initié, dès sa formation initiale, à l’accompagnement de ce type
d’apprentissage. Cette formation devrait être plus approfondie (en cours de
carrière) pour les membres de l’équipe éducative qui choisiront (il est
important que cela se fasse sur base volontaire) de consacrer une partie de
leur temps de travail professionnel à l’encadrement des élèves personnellement
investis dans des fonctions de représentation de leurs condisciples. Car ce
type d’accompagnement constitue une responsabilité impliquant d’autres
aptitudes et d’autres moyens pédagogiques que l’enseignement des disciplines
scolaires pour lequel ils ont été formés initialement.
Si cet encadrement doit se faire sur base volontaire, il ne doit pas être bénévole mais dûment comptabilisé dans le temps de travail du personnel éducatif qui l’assume. Cela aussi nécessite des moyens financiers.
Je pense pour
ma part que l’apprentissage par la pratique de la citoyenneté démocratique
devrait commencer non pas en cinquième primaire mais bien dès le début de
l’enseignement fondamental, par la généralisation, sous la supervision des
instituteur(trice)s, des réunions de classe et que celles-ci, devraient constituer,
à tous les niveaux, des temps et des lieux de paroles instituées et instituantes, c’est-à-dire susceptibles de contribuer à la remise en question pouvant
déboucher sur la modification de règles de la vie commune. Si cet encadrement doit se faire sur base volontaire, il ne doit pas être bénévole mais dûment comptabilisé dans le temps de travail du personnel éducatif qui l’assume. Cela aussi nécessite des moyens financiers.
**************************
[1] Cf., entre autres, BOURDIEU, P. et PASSERON, J.-C., La Reproduction. Eléments pour une théorie du
système d’enseignement, Ed. de Minuit, Paris, 1970 /
CHARLOT, B., BAUTIER, E. et ROCHEX, J.-Y., Ecole et savoir dans les
banlieues … et ailleurs, Armand Colin, Paris, 1992 /
LAHIRE, B., Tableaux de familles. Heurs et malheurs scolaires en
milieux populaires, Gallimard - Le Seuil, Paris, 1995.
[2] Cf. SÄGESSER, C., Les cours de
religion et de morale dans l’enseignement obligatoire, Courrier
hebdomadaire du CRISP n° 2140-2141, Bruxelles, 2012. Je recommande la lecture
de cette étude très fouillée qui décrit, entre autres, des différences
significatives entre les principales communautés linguistiques de Belgique.
[3] Décret définissant la neutralité de l’enseignement de la Communauté
(31/03/1994) et Décret organisant la
neutralité inhérente à l’enseignement officiel subventionné (17/12/2003).
[4] Sauf celui d’éducation physique, cas particulier dont il ne sera pas
question ici.
Votre analyse semble considérer l'école avant tout comme un lieu d'apprentissage du vivre-ensemble alors que, dans les faits, l'école est surtout un tremplin pour la vie active à travers l'obtention d'un diplôme qui sélectionne les places d'entrée.
RépondreSupprimerA quand une école publique où tous les élèves ont les mêmes chances d'occuper les postes les plus intéressants, et souvent les mieux rémunérés, dans la vie active ?