PourEVA (Pour une Éthique du Vote Automatisé)
Source : https://www.poureva.be/spip.php?article998
Parmi les quarante-six États membres
du Conseil de l’Europe, seuls trois d’entre eux - l’Italie, le Luxembourg et la
Belgique - persistent à ce jour à maintenir la validation du résultat des
élections par les élus eux-mêmes, sans recours possible.
En Belgique, cela concerne non
seulement le Parlement fédéral mais aussi les parlements régionaux et de
communauté ainsi que les parlements provinciaux de Wallonie, en vertu de
l’article 48 de la Constitution, inchangé depuis 1831, et dont l’application a,
depuis, été étendue aux entités fédérées. Ces parlements ont, seuls, le pouvoir
de contester le résultat d’une élection et d’ordonner éventuellement que
celle-ci soit refaite. On ne s’étonnera pas que cela ne soit jamais
arrivé : pourquoi les élus remettraient-ils en question leur propre
élection ?
Le 10 juillet 2020, par l’arrêt « Mugemangango contre Belgique », la
Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné l’État belge pour
violation des articles 3 et 13 du premier protocole additionnel de la
Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales.
Ces articles concernent le droit à des élections libres et celui à un recours
effectif. Germain Mugemangango, candidat du PTB aux élections régionales
wallonnes de mai 2014, auquel il manquait 14 voix pour obtenir un siège de
parlementaire dans l’arrondissement de Charleroi, s’appuyant sur l’allégation
de différentes irrégularités, avait demandé un recomptage. Bien que la
commission de vérification des pouvoirs du Parlement wallon avait déclaré sa
demande recevable et fondée, elle lui a été refusée par les membres du même
parlement réunis en assemblée plénière. Ces parlementaires validèrent donc les
pouvoirs des élus de la province du Hainaut. Parmi les votants : les élus
de la province du Hainaut ! [1] C’est parce qu’il n’avait aucune possibilité
de recours contre cette décision en Belgique qu’il avait fait appel à la CEDH.
De l’urgence de modifier la
Constitution : la preuve par le « bug » de mai 2014
Dans le cas des élections communales,
des recours contre le résultat d’une élection peuvent aboutir à son annulation.
Cela s’explique parce que, dans ce type d’élection, ce ne sont pas les élus qui
ont à juger de la pertinence d’un recours susceptible de remettre en cause leur
propre élection. C’est ainsi, par exemple, que l’élection communale
(informatisée) de Jurbise d’octobre 2000 a été annulée par le Conseil d’État [2] et a dû être refaite. Il en a été de même à
Neufchâteau lors des élections communales (« papier ») d’octobre 2018
à la suite de laquelle il était apparu que de fausses procurations avaient été
utilisées.
En toute logique démocratique, cela aurait aussi dû être le cas à Bruxelles et
dans les communes germanophones lors des élections régionales, fédérales et
européennes du 25 mai 2014. Mais les nouveaux élus, seuls habilités à décider
en la matière selon l’article 48 de la Constitution belge, ont refusé
d’invalider l’élection qui leur a permis d’être élus.
Il s’agit d’un scandale anti-démocratique dont il vaut la peine de rappeler les
détails. [3]
Dès le soir des élections, on apprend par la presse que dans trente-neuf
communes wallonnes et 17 communes bruxelloises qui utilisaient le vote
électronique sans preuve papier, des votes n’ont pas été comptabilisés. Les
responsables du Ministère fédéral (SPF) de l’Intérieur affirment alors, sans
être en mesure de le prouver, que ce problème ne concerne que les votes de
préférence et n’affecte pas la répartition des sièges. Ce soir-là, avertis de
cet incident, plusieurs présidents de bureaux principaux de circonscription
chargés de recenser les voix, de répartir les sièges et de désigner les élus,
refusent de valider le tableau de recensement des voix. Mais deux jours plus
tard, sous la pression du SPF Intérieur, ils reviennent sur leur première
décision et décident d’annuler les votes litigieux qui seraient à la source du
bug, sans même encore en connaître le nombre (2.250) qui ne sera communiqué par
le « collège d’experts chargés du contrôle des systèmes de vote et de
dépouillement automatisés » que le 5 juin. [4]
Les présidents des bureaux principaux de circonscription sont des magistrats et
non des informaticiens. Ils sont donc forcément dépendants des firmes privées
ayant fourni le matériel informatique utilisé pour les opérations électorales
et du SPF Intérieur, qui n’offrent aucune garantie d’indépendance et
d’impartialité : le Ministre de l’Intérieur appartient à une formation
politique participant aux élections, son administration est sous son autorité
et les firmes privées ont, quant à elles, un intérêt financier à minimiser les
problèmes dont elles sont responsables.
Dans le rapport du collège d’experts chargés du contrôle du système de vote et
de dépouillement automatisés, publié le 19 juin, il apparaît que, pour le SPF
Intérieur et pour les firmes privées, ce qui importait n’était pas le respect
de la légalité mais le déblocage rapide de la situation : « Lors de la découverte du bug après le scrutin, le
Collège a constaté que la sécurité et les procédures étaient moins prioritaires
qu’une résolution rapide du problème, ce qui entraina un travail précipité et
de nouvelles erreurs. ». [5] La « résolution » du bug a
elle-même entraîné son lot de bugs : le logiciel de décryptage a lui-même
« buggé » [6], l’évaluation a donné lieu à une « erreur
d’encodage manuel » [7], « les nombres de votes à annuler ont été
mélangés » [8], le logiciel utilisé a « donné des résultats différents » [9], le nombre d’urnes corrompues ou manquantes a
évolué de 27 à 57 [10].
Contrairement aux magistrats exerçant la fonction de président d’un bureau
principal de circonscription, les parlementaires auxquels incombaient la
validation des opérations électorales et la vérification de leurs propres
pouvoirs disposaient du rapport du collège des experts au moment de devoir
prendre leur décision. Ils savaient donc combien de bulletins de vote n’avaient
pas été pris en compte dans la totalisation et l’éventuel impact qu’aurait pu
avoir le « bug » sur la répartition des sièges. Selon le Conseil
d’État et conformément aux standards internationaux, une irrégularité qui
pourrait aboutir à une modification de la répartition des sièges doit entraîner
l’annulation de l’élection. Or, dans le cas qui nous occupe, le collège des
experts avait établi que c’était bien le cas dans deux assemblées : le
Parlement de la Communauté germanophone et le Parlement régional bruxellois.
Dans le premier, un siège aurait pu être attribué à un autre parti ; dans
le second c’est la répartition des sièges entre des candidats d’une même liste
qui aurait pu être différente.
Malgré cela, dès le 10 juin, le Parlement bruxellois valide l’élection par 52
voix pour, 9 contre et 28 abstentions, malgré neuf réclamations introduites
devant lui. Et, en sa séance du 26 juin, le Parlement de la Communauté
germanophone fait de même par 14 voix contre 11.
Les articles 48 et 142 doivent être
ouverts à révision
L’arrêt du 20 juillet 2020 de la CEDH
oblige l’État belge à agir pour qu’une procédure de recours compatible avec la
Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales
puisse être élaborée. L’article 48 de la Constitution belge qui stipule que
« Chaque Chambre vérifie les pouvoirs de ses membres et juge les
contestations qui s’élèvent à ce sujet » doit donc être modifié. Dans le
même but, plusieurs juristes et parlementaires qui se sont penchés sur la
question s’accordent pour estimer qu’il serait également opportun d’offrir la
possibilité de modifier l’article 142 qui concerne les compétences du Conseil
constitutionnel car cette institution pourrait devenir l’instance devant
laquelle un recours contre le résultat d’une élection pourrait être introduit.
Conformément à l’article 195 de la Constitution belge, ces deux articles
doivent donc être déclarés révisables par le gouvernement et le Parlement
fédéral actuels pour permettre au Parlement fédéral qui sera issu des
prochaines élections, prévues pour 2024, de modifier enfin la Constitution de
manière à rendre possible une réforme des procédures légales de recours contre les
résultats d’une élection.
Tant que cela n’aura pas été fait et donc lors des prochaines élections, l’État
belge s’expose à d’autres condamnations pour violation des articles 3 et 13 du
premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des Droits de
l’Homme et des Libertés fondamentales.
Il est à noter que, pour ce qui concerne les entités fédérées, ces
modifications de la Constitution ne sont pas indispensables car c’est par une
loi spéciale que la règle figurant dans l’article 48 de la Constitution a été
étendue aux parlements régionaux et par une loi ordinaire qu’elle l’a été au
Parlement de la Communauté germanophone. [11] Les
parlements concernés actuels pourraient donc modifier ces lois avant les
élections de 2024. Il suffirait que la volonté politique de le faire y soit.
[1] T.GAUDIN, "Le contrôle de l’élection
directe", in Administration
publique, revue du droit public et des sciences administratives, octobre 2020 (numéro spécial consacré à la
publication des actes du colloque "Qui contrôle l’élection ?"
tenu à Mons le 26 avril 2019), p.115.
[2] À noter : dans son arrêt du 2 mars 2001
annulant l’élection communale de Jurbise, le Conseil d’État s’inquiétait de la
grande dépendance de l’État aux firmes privées : une vérification de la totalisation n’est pas
possible sans le logiciel d’une firme privée.
[3] Les informations qui suivent proviennent
principalement de "Le vote électronique : l’impossible
contrôle ?", texte d’Anne-Emmanuelle Bourgaux, Professeure à l’École
de droit de l’U-MONS, paru en octobre 2020 dans Administration publique..., op. cit. p. 115.
[4] Il a finalement été établi que le "bug"
concernait les votes d’électeurs qui, en toute légalité, avaient modifié leur
vote avant de le confirmer (A.-E. BOURGAUX, op. cit., p. 141).
[5] Rapport du collège d’experts chargés du contrôle du
système de vote et de dépouillement automatisés. Élections simultanées du 25 mai
2014, 5.12.
[6] Ibid., 5.7.1.
[7] Ibid., 5.5.
[8] Ibid., 5.6.3.
[9] Ibid., 5.8.2.
[10] Ibid, 5.8.4.
[11] T. GAUDIN, op. cit., p. 117.
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