Article paru dans Le Drapeau rouge n° 97, mars avril 2023 pp. 10-11
Michel Staszewski
Le
gouvernement le plus à droite de toute l’histoire de l’État d’Israël
Fin décembre
2022, Benyamin Netanyahu a reconquis le poste de premier ministre pour la
sixième fois malgré sa triple inculpation pour corruption, fraude et abus de
confiance. Son parti, le Likoud, a en effet obtenu le plus grand nombre
de sièges au parlement israélien et, pour y obtenir la majorité absolue, s’est
allié avec les partis ultra-orthodoxes Shas et Judaïsme unifié de la
Torah ainsi qu’avec trois partis de la droite sioniste religieuse la plus extrême
(Force juive, Sionisme religieux et Noam) qui avaient
présenté, pour l’élection législative du 1er novembre 2022, une
liste commune dénommée Parti sioniste religieux. Il a ainsi pu former le
gouvernement le plus à droite et le plus religieux de toute l’histoire de
l’État d’Israël. Ce succès va sans doute lui permettre d’échapper, au moins
pour un temps, à des condamnations judiciaires.
Itamar
Ben Gvir, de Force juive, a obtenu le « Ministère de la sécurité
nationale », ce qui signifie qu’il dirige désormais la police. Il s’est de
plus vu attribué le contrôle de la « police des frontières » qui
dépendait jusqu’ici du Ministère de la
Défense, ce qui étend son pouvoir de police aux territoires occupés. Ben Gvir
est un admirateur de feu le rabbin Kahane qui professait la haine des Arabes et
prônait leur expulsion de la « Terre d’Israël ». Le parti Kach,
que celui-ci avait fondé, fut interdit en 1994 car considéré comme terroriste
par le gouvernement israélien. Ben Gvir prône lui-même le transfert d’une
partie de la population arabe israélienne, jugée déloyale, vers les pays
voisins.
Bezalel
Smotrich, le dirigeant de « Sionisme religieux », qui voudrait que
les lois israéliennes soient basées sur la Torah et qui souhaite l’interdiction
des partis « arabes » israéliens qui ne font pas allégeance à
l’« État juif », a reçu le Ministère des finances et aussi le
contrôle de l’«administration civile » (en réalité militaire) de la
Cisjordanie.
Ces deux
hommes, qui sont eux-mêmes des colons installés en Cisjordanie, sont partisans
de l’annexion à Israël de l’ensemble de ce territoire. Pour ces sionistes
religieux, la « Judée-Samarie » fait partie de la « Terre
d’Israël », donnée par Dieu au « peuple d’Israël ». Les Juifs y
auraient donc seuls le droit de s’y installer, les « Arabes » n’y
étant « tolérés » qu’à condition d’accepter la suprématie juive.
La première
des vingt « lignes directrices » de ce nouveau gouvernement
stipule : « Le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur
toutes les parties de la Terre d’Israël. Le gouvernement encouragera et
développera l’expansion de la présence juive dans toutes les parties de la Terre
d’Israël – en Galilée, dans le Néguev, dans le Golan et en Judée-Samarie ».
Voilà qui est clair. Ce 12 février 2023, on apprenait que neuf nouvelles
colonies « illégales » (selon le droit israélien) allaient être
« légalisées ».
Avigdor Maoz,
du petit parti Noam devient vice-ministre et chef d'une nouvelle agence
gouvernementale de l'"identité juive nationale" au sein du bureau du
Premier ministre. Il est désormais responsable de l’immigration, des ONGs
étrangères et a obtenu un droit de regard sur les programmes scolaires. Il
partage avec Smotrich et Ben Gvir un virulent racisme anti-arabe et le rejet de
l’homosexualité. La lutte contre les droits des personnes LGBTQI est pour lui
une priorité.
Pour
s’imposer, cette coalition a profité de la faiblesse des partis dits de la
« gauche sioniste » et de la division des partis dits
« arabes ». Le Meretz, seul parti sioniste opposé à
l’occupation et à la colonisation des territoires conquis en 1967, n’a pas
réussi à atteindre le seuil électoral de 3.25 %, nécessaire pour obtenir des
élus. Il en a été de même pour le Balad (« Ligue démocratique
nationale »), parti antisioniste dont la majorité des électeurs sont des
Palestiniens.
Depuis des
dizaines d’années, d’élection en élection, de plus en plus nombreux sont les
Juifs israéliens qui votent pour les partis les plus favorables à la poursuite
de la colonisation des territoires occupés depuis 1967 ou pour les partis
ultra-orthodoxes, qui ne s’y opposent pas.
Le nombre
grandit de ceux d’entre eux qui adhèrent à la vision simpliste mais cohérente
des sionistes religieux pour lesquels la « Terre d’Israël » a été
donnée par Dieu aux Juifs et à eux seuls. Parmi les Juifs israéliens moins ou
non religieux, le mythe du retour sur la terre de leurs ancêtres qui en
auraient été chassés il y a plus de deux mille ans est généralement accepté
comme une vérité historique légitimant la « recréation » d’un
« État juif » sur la « Terre d’Israël ». Maintenus par le système
éducatif et les médias dominants dans la peur terrible des
« Arabes », ils sont de plus en plus nombreux à considérer que le
maintien de l’occupation militaire et l’augmentation du peuplement juif de la
Cisjordanie et de Jérusalem-est sont indispensables à la sécurité de la
population juive israélienne.
Que
reste-t-il de la démocratie israélienne ?
Sur
l’ensemble de la Palestine historique, entièrement sous le contrôle d’Israël
depuis 1967, la population juive est aujourd’hui redevenue légèrement
minoritaire. Si l’ensemble des habitants de ce territoire en âge de voter avait
pu participer à l’élection, il est évident qu’une telle coalition n’aurait pu
voir le jour. Mais seuls les Palestiniens détenteurs de la citoyenneté israélienne
(environ 2.000.000 de personnes), qui ne constituent qu’un peu plus d’un quart
des Palestiniens vivant sous la domination israélienne, possèdent ce droit. Les
5.500.000 Palestiniens vivant dans les territoires occupés (Cisjordanie, Gaza,
Jérusalem-est) en sont privés et n’ont donc pas pu participer au vote le 1er
novembre. Il en est évidemment de même pour les Palestiniens exilés et
descendants d’exilés (plus de 6.000.000 de personnes).
L’État
d’Israël n’est une démocratie que pour ses citoyens juifs. Selon la définition
juridique internationalement acceptée de ce terme[1],
c’est un État d’apartheid. C’est ce que la CESAO (Commission économique et
sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale) a établi dans un rapport
officiel publié en mars 2017.[2] C’est aussi la conclusion à laquelle sont
parvenues, en 2021, deux organisations non gouvernementales ayant pour objet la
défense des droits humains, l’israélienne B’Tselem, et l’internationale Human
Rights Watch. En février 2022, Amnesty International a publié un rapport qui
parvient à la même conclusion.
Mais
cette « démocratie pour les Juifs » est elle-même de plus en
plus attaquée par la droite sioniste.
À
cet égard, l’assassinat, en novembre 1995, d’Yitzhak Rabin, alors Premier
ministre d’Israël, témoignait d’une
fracture profonde, et déjà ancienne, dans la société juive israélienne. Yigal
Amir, son assassin était un jeune sioniste religieux, admirateur, comme Itamar
Ben Gvir, de Baruch Goldstein, ce médecin juif originaire de New York qui avait
massacré 29 musulmans en prière et en avait blessé 125 en février 1994. Il était
de ceux qui considéraient que le « Processus d’Oslo », qui avait
commencé en 1993, était contraire à la volonté de Dieu et que ceux qui le
promouvaient, même juifs, méritaient la mort. Ces « fous de Dieu »
pour lesquels la « volonté divine » telle qu’ils la concevaient
devait prévaloir sur les choix démocratiques des citoyens israéliens, étaient déjà
nombreux à l’époque. Leur poids numérique et politique a considérablement augmenté
depuis.
Les
Juifs opposés à l’occupation, à la colonisation des territoires occupés et au
blocus de Gaza se sentent de moins en moins en sécurité en Israël. Les militant·e·s
des ONGs israéliennes qui défendent les droits des Palestiniens sont non
seulement menacé·e·s physiquement par les membres des partis sionistes les plus
extrémistes mais encore, victimes de mesures légales décidées par le Parlement
où la droite sioniste domine désormais. C’est ainsi qu’en 2016 fut votée une
loi dont le but était de diminuer les ressources financières de telles
associations sous prétexte que leurs subsides provenaient pour plus de moitié
de l’étranger. C’était le cas, entre autres, de B’Tselem, le centre israélien
d’information pour les droits de l’Homme dans les territoires occupés.
En
Israël, la Cour suprême a le pouvoir d’empêcher l’entrée en vigueur d’une loi,
pourtant votée par le Parlement, qui serait contraire aux Lois fondamentales de
l’État d’Israël faisant office de constitution. La nouvelle majorité veut
mettre fin à ce pouvoir en imposant une « clause dérogatoire » permettant
de revoter une loi refusée par la Cour suprême sans que celle-ci puisse cette
fois s’y opposer.
Ainsi,
par exemple, le nouveau
parlement vient de voter en urgence une loi autorisant une personne reconnue
coupable d’un crime, mais pas condamnée à la prison ferme, à obtenir un
portefeuille ministériel, ceci pour permettre à Aryeh Deri, chef du parti
ultra-orthodoxe Shas, de redevenir ministre alors qu’il a été récemment condamné
avec sursis pour fraude fiscale.[3]
Cette loi a été invalidée par la Cour suprême et Aryeh Deri, à peine nommé a dû
renoncer à son poste… provisoirement car cette loi pourrait tout de même entrer
en vigueur grâce à la « clause dérogatoire ».
Autre exemple : si les
députés votaient une loi permettant d’annuler ou de suspendre pendant la durée
de son mandat de premier ministre le procès de M. Netanyahu pour corruption, et
que la Cour suprême invalidait ensuite ce vote, l’introduction de la « clause
dérogatoire » permettrait de ne pas tenir compte de cette décision de
justice.
Pour le quotidien israélien Haaretz, le mandat de Yariv Levin, le
nouveau ministre de la Justice (membre du Likoud) est clair :
« détruire l’État de droit, les institutions et tout le système » en
donnant le droit au Parlement d’outrepasser la justice.
Et maintenant ?
Avec un tel gouvernement, il ne fait guère de doute que la situation des
Palestiniens va encore empirer, non seulement celle de ceux qui vivent en
territoire occupé et sont soumis à l’arbitraire de l’armée israélienne mais
aussi celle de ceux qui disposent de la citoyenneté israélienne. Et il est
certain qu’Iels résisteront à ce nouveau « tour de vis ». Ce qui
engendrera une répression toujours plus féroce de la part de ceux qui restent
les plus forts. Pour la majorité des Juifs israéliens, la peur engendrant le
rejet des « Arabes » ne fera
que grandir. Un cycle infernal.
Seules de fortes pressions extérieures sur les dirigeants israéliens
rendraient possible une sortie de cette impasse. Face à ce gouvernement
d’extrême droite, les États qui, depuis la création de l’État d’Israël, ont été
d’une complaisance extrême avec ses dirigeants malgré leur non-respect
systématique du droit international vont-ils enfin changer leur fusil
d’épaule ? Rien n’est moins sûr. Tout dépendra de la mobilisation de leurs
opinions publiques. De nous tou·tes, donc.
**************************
[1] « Convention internationale sur l’élimination et la
répression du crime d’apartheid », adoptée par l’Assemblée générale de
l’ONU le 30 novembre 1973.
[2] A la suite de pressions exercées par les
représentants des États-Unis et d’Israël, le secrétaire général de l’ONU,
Antonio Guterres, a fait déclassifier ce rapport. Ce qui a entraîné la
démission de la secrétaire exécutive de la CESAO, Rima Khalaf.
[3] En
2000 déjà, reconnu coupable de corruption, il avait purgé près de deux ans de
prison.
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