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mardi 28 mars 2023

Qui arrêtera le sixième gouvernement Netanyahu ?

 Article paru dans Le Drapeau rouge n° 97, mars avril 2023 pp. 10-11

Michel Staszewski 

Le gouvernement le plus à droite de toute l’histoire de l’État d’Israël

Fin décembre 2022, Benyamin Netanyahu a reconquis le poste de premier ministre pour la sixième fois malgré sa triple inculpation pour corruption, fraude et abus de confiance. Son parti, le Likoud, a en effet obtenu le plus grand nombre de sièges au parlement israélien et, pour y obtenir la majorité absolue, s’est allié avec les partis ultra-orthodoxes Shas et Judaïsme unifié de la Torah ainsi qu’avec trois partis de la droite sioniste religieuse la plus extrême (Force juive, Sionisme religieux et Noam) qui avaient présenté, pour l’élection législative du 1er novembre 2022, une liste commune dénommée Parti sioniste religieux. Il a ainsi pu former le gouvernement le plus à droite et le plus religieux de toute l’histoire de l’État d’Israël. Ce succès va sans doute lui permettre d’échapper, au moins pour un temps, à des condamnations judiciaires.

Itamar Ben Gvir, de Force juive, a obtenu le « Ministère de la sécurité nationale », ce qui signifie qu’il dirige désormais la police. Il s’est de plus vu attribué le contrôle de la « police des frontières » qui dépendait  jusqu’ici du Ministère de la Défense, ce qui étend son pouvoir de police aux territoires occupés. Ben Gvir est un admirateur de feu le rabbin Kahane qui professait la haine des Arabes et prônait leur expulsion de la « Terre d’Israël ». Le parti Kach, que celui-ci avait fondé, fut interdit en 1994 car considéré comme terroriste par le gouvernement israélien. Ben Gvir prône lui-même le transfert d’une partie de la population arabe israélienne, jugée déloyale, vers les pays voisins.

Bezalel Smotrich, le dirigeant de « Sionisme religieux », qui voudrait que les lois israéliennes soient basées sur la Torah et qui souhaite l’interdiction des partis « arabes » israéliens qui ne font pas allégeance à l’« État juif », a reçu le Ministère des finances et aussi le contrôle de l’«administration civile » (en réalité militaire) de la Cisjordanie.

Ces deux hommes, qui sont eux-mêmes des colons installés en Cisjordanie, sont partisans de l’annexion à Israël de l’ensemble de ce territoire. Pour ces sionistes religieux, la « Judée-Samarie » fait partie de la « Terre d’Israël », donnée par Dieu au « peuple d’Israël ». Les Juifs y auraient donc seuls le droit de s’y installer, les « Arabes » n’y étant « tolérés » qu’à condition d’accepter la suprématie juive.

La première des vingt « lignes directrices » de ce nouveau gouvernement stipule : « Le peuple juif a un droit exclusif et inaliénable sur toutes les parties de la Terre d’Israël. Le gouvernement encouragera et développera l’expansion de la présence juive dans toutes les parties de la Terre d’Israël – en Galilée, dans le Néguev, dans le Golan et en Judée-Samarie ». Voilà qui est clair. Ce 12 février 2023, on apprenait que neuf nouvelles colonies « illégales » (selon le droit israélien) allaient être « légalisées ».    

Avigdor Maoz, du petit parti Noam devient vice-ministre et chef d'une nouvelle agence gouvernementale de l'"identité juive nationale" au sein du bureau du Premier ministre. Il est désormais responsable de l’immigration, des ONGs étrangères et a obtenu un droit de regard sur les programmes scolaires. Il partage avec Smotrich et Ben Gvir un virulent racisme anti-arabe et le rejet de l’homosexualité. La lutte contre les droits des personnes LGBTQI est pour lui une priorité.

Pour s’imposer, cette coalition a profité de la faiblesse des partis dits de la « gauche sioniste » et de la division des partis dits « arabes ». Le Meretz, seul parti sioniste opposé à l’occupation et à la colonisation des territoires conquis en 1967, n’a pas réussi à atteindre le seuil électoral de 3.25 %, nécessaire pour obtenir des élus. Il en a été de même pour le Balad (« Ligue démocratique nationale »), parti antisioniste dont la majorité des électeurs sont des Palestiniens.

Depuis des dizaines d’années, d’élection en élection, de plus en plus nombreux sont les Juifs israéliens qui votent pour les partis les plus favorables à la poursuite de la colonisation des territoires occupés depuis 1967 ou pour les partis ultra-orthodoxes, qui ne s’y opposent pas.   

Le nombre grandit de ceux d’entre eux qui adhèrent à la vision simpliste mais cohérente des sionistes religieux pour lesquels la « Terre d’Israël » a été donnée par Dieu aux Juifs et à eux seuls. Parmi les Juifs israéliens moins ou non religieux, le mythe du retour sur la terre de leurs ancêtres qui en auraient été chassés il y a plus de deux mille ans est généralement accepté comme une vérité historique légitimant la « recréation » d’un « État juif » sur la « Terre d’Israël ». Maintenus par le système éducatif et les médias dominants dans la peur terrible des « Arabes », ils sont de plus en plus nombreux à considérer que le maintien de l’occupation militaire et l’augmentation du peuplement juif de la Cisjordanie et de Jérusalem-est sont indispensables à la sécurité de la population juive israélienne.  

Que reste-t-il de la démocratie israélienne ?                 

Sur l’ensemble de la Palestine historique, entièrement sous le contrôle d’Israël depuis 1967, la population juive est aujourd’hui redevenue légèrement minoritaire. Si l’ensemble des habitants de ce territoire en âge de voter avait pu participer à l’élection, il est évident qu’une telle coalition n’aurait pu voir le jour. Mais seuls les Palestiniens détenteurs de la citoyenneté israélienne (environ 2.000.000 de personnes), qui ne constituent qu’un peu plus d’un quart des Palestiniens vivant sous la domination israélienne, possèdent ce droit. Les 5.500.000 Palestiniens vivant dans les territoires occupés (Cisjordanie, Gaza, Jérusalem-est) en sont privés et n’ont donc pas pu participer au vote le 1er novembre. Il en est évidemment de même pour les Palestiniens exilés et descendants d’exilés (plus de 6.000.000 de personnes).

L’État d’Israël n’est une démocratie que pour ses citoyens juifs. Selon la définition juridique internationalement acceptée de ce terme[1], c’est un État d’apartheid. C’est ce que la CESAO (Commission économique et sociale des Nations unies pour l’Asie occidentale) a établi dans un rapport officiel publié en mars 2017.[2]  C’est aussi la conclusion à laquelle sont parvenues, en 2021, deux organisations non gouvernementales ayant pour objet la défense des droits humains, l’israélienne B’Tselem, et l’internationale Human Rights Watch. En février 2022, Amnesty International a publié un rapport qui parvient à la même conclusion.

Mais cette « démocratie pour les Juifs » est elle-même de plus en plus attaquée par la droite sioniste.

À cet égard, l’assassinat, en novembre 1995, d’Yitzhak Rabin, alors Premier ministre d’Israël, témoignait  d’une fracture profonde, et déjà ancienne, dans la société juive israélienne. Yigal Amir, son assassin était un jeune sioniste religieux, admirateur, comme Itamar Ben Gvir, de Baruch Goldstein, ce médecin juif originaire de New York qui avait massacré 29 musulmans en prière et en avait blessé 125 en février 1994. Il était de ceux qui considéraient que le « Processus d’Oslo », qui avait commencé en 1993, était contraire à la volonté de Dieu et que ceux qui le promouvaient, même juifs, méritaient la mort. Ces « fous de Dieu » pour lesquels la « volonté divine » telle qu’ils la concevaient devait prévaloir sur les choix démocratiques des citoyens israéliens, étaient déjà nombreux à l’époque. Leur poids numérique et politique a considérablement augmenté depuis.

Les Juifs opposés à l’occupation, à la colonisation des territoires occupés et au blocus de Gaza se sentent de moins en moins en sécurité en Israël. Les militant·e·s des ONGs israéliennes qui défendent les droits des Palestiniens sont non seulement menacé·e·s physiquement par les membres des partis sionistes les plus extrémistes mais encore, victimes de mesures légales décidées par le Parlement où la droite sioniste domine désormais. C’est ainsi qu’en 2016 fut votée une loi dont le but était de diminuer les ressources financières de telles associations sous prétexte que leurs subsides provenaient pour plus de moitié de l’étranger. C’était le cas, entre autres, de B’Tselem, le centre israélien d’information pour les droits de l’Homme dans les territoires occupés.

En Israël, la Cour suprême a le pouvoir d’empêcher l’entrée en vigueur d’une loi, pourtant votée par le Parlement, qui serait contraire aux Lois fondamentales de l’État d’Israël faisant office de constitution. La nouvelle majorité veut mettre fin à ce pouvoir en imposant une « clause dérogatoire » permettant de revoter une loi refusée par la Cour suprême sans que celle-ci puisse cette fois s’y opposer.

Ainsi, par exemple, le nouveau parlement vient de voter en urgence une loi autorisant une personne reconnue coupable d’un crime, mais pas condamnée à la prison ferme, à obtenir un portefeuille ministériel,  ceci pour permettre à Aryeh Deri, chef du parti ultra-orthodoxe Shas, de redevenir ministre alors qu’il a été récemment condamné avec sursis pour fraude fiscale.[3] Cette loi a été invalidée par la Cour suprême et Aryeh Deri, à peine nommé a dû renoncer à son poste… provisoirement car cette loi pourrait tout de même entrer en vigueur grâce à la « clause dérogatoire ».

Autre exemple : si les députés votaient une loi permettant d’annuler ou de suspendre pendant la durée de son mandat de premier ministre le procès de M. Netanyahu pour corruption, et que la Cour suprême invalidait ensuite ce vote, l’introduction de la « clause dérogatoire » permettrait de ne pas tenir compte de cette décision de justice.

Pour le quotidien israélien Haaretz, le mandat de Yariv Levin, le nouveau ministre de la Justice (membre du Likoud) est clair : « détruire l’État de droit, les institutions et tout le système » en donnant le droit au Parlement d’outrepasser la justice.

Et maintenant ?

Avec un tel gouvernement, il ne fait guère de doute que la situation des Palestiniens va encore empirer, non seulement celle de ceux qui vivent en territoire occupé et sont soumis à l’arbitraire de l’armée israélienne mais aussi celle de ceux qui disposent de la citoyenneté israélienne. Et il est certain qu’Iels résisteront à ce nouveau « tour de vis ». Ce qui engendrera une répression toujours plus féroce de la part de ceux qui restent les plus forts. Pour la majorité des Juifs israéliens, la peur engendrant le rejet  des « Arabes » ne fera que grandir. Un cycle infernal.

Seules de fortes pressions extérieures sur les dirigeants israéliens rendraient possible une sortie de cette impasse. Face à ce gouvernement d’extrême droite, les États qui, depuis la création de l’État d’Israël, ont été d’une complaisance extrême avec ses dirigeants malgré leur non-respect systématique du droit international vont-ils enfin changer leur fusil d’épaule ? Rien n’est moins sûr. Tout dépendra de la mobilisation de leurs opinions publiques. De nous tou·tes, donc.        

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[2] A la suite de pressions exercées par les représentants des États-Unis et d’Israël, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a fait déclassifier ce rapport. Ce qui a entraîné la démission de la secrétaire exécutive de la CESAO, Rima Khalaf.

[3] En 2000 déjà, reconnu coupable de corruption, il avait purgé près de deux ans de prison.

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