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samedi 28 janvier 2012

Israël-Palestine : un ou deux Etats ?

Article paru dans  Points Critiques n° 322, janvier 2012, pp. 22-23


Ces derniers temps et particulièrement depuis que les dirigeants palestiniens font campagne pour obtenir de l’O.N.U. la reconnaissance pleine et entière de l’état de Palestine sur base des frontières du 4 juin 1967, parmi les militants soutenant la cause palestinienne, un débat, parfois très vif, s’est engagé entre partisans d’une solution à un et à deux état(s). 

UNE SOLUTION A DEUX ETATS EST-ELLE ENCORE POSSIBLE ?


En 1988, le Conseil National Palestinien a reconnu l’existence de l’état d’Israël dans ses frontières du 4 juin 1967. Ce fut une énorme concession faite aux Israéliens puisque cette décision impliquait l’acceptation de n’édifier l’état de Palestine que sur 22 % de la Palestine mandataire[1]. Depuis ce jour, il est devenu clair que les opposants les plus résolus à la solution à deux états étaient les gouvernements israéliens successifs, eux qui n’ont jamais cessé, depuis la conquête de la Cisjordanie en 1967, d’occuper ce territoire et d’y développer une colonisation de peuplement. En guise d’« état », ils acceptent tout au plus des « bantoustans », ce qui, de leur point de vue, offre l’avantage de priver la grande majorité des Palestiniens de la citoyenneté israélienne et donc de l’égalité des droits avec les habitants juifs de la Palestine-Israël, tous détenteurs de cette citoyenneté.

Dans ces conditions, Le partage du territoire de la Palestine mandataire est-il encore possible ?
Théoriquement oui. C’est une question de volonté politique. Mais vu l’imbrication des populations arabes et juives, il serait pour le moins compliqué. Un peu moins si chacun de ces futurs états acceptait et respectait les droits de la minorité sans déplacements forcés de population.

Avantages de cette solution à deux états : Les Palestiniens disposeraient d’une « base territoriale » et les Israéliens garderaient la leur. Mais qu’en serait-il du « droit au retour » des exilés et de leurs descendants ? Où auraient-ils le droit de s’installer ?

QUELLE SOLUTION A UN SEUL ETAT ?
Quel état ? Démocratique de tous ses citoyens sans reconnaissance de droits nationaux, ou binational ? Fédéral, confédéral ou unitaire ? Comment, dans ce cas,  appliquer concrètement le droit au retour des Palestiniens ? Et que deviendrait la revendication sioniste du « droit au retour » en « Eretz Israël » (la Palestine mandataire) de tous les juifs du monde qui le souhaiteraient ?

Le problème ne se limite donc pas à choisir entre un ou deux états. Imaginer une solution durable au conflit est une tâche complexe.

PENSER BINATIONAL


En quoi ce dilemme concerne-t-il les militants extérieurs (ni palestiniens, ni israéliens) de la cause palestinienne ? Ce ne sont pas eux qui auront à construire l’avenir de cette région ni à vivre la solution qui aura été choisie. Alors, pour ces militants (dont je suis), pourquoi et jusqu’où s’engager sur cette question ?

Nous nous battons pour la cause palestinienne parce que nous la pensons juste, pour que justice soit rendue aux Palestiniens. Nous nous appuyons pour cela sur de grands principes qui se trouvent dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme. En particulier pour ce qui nous occupe ici, sur son article 1 selon lequel « les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits », sur son article 13 qui stipule que « toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un état »  et que « toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays » et sur son article 15 qui affirme que « Tout individu a droit à une nationalité. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité. »

Un autre principe devrait nous guider : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il n’y aura de solution juste au conflit que si est pris en compte le fait qu’il existe maintenant deux peuples en Palestine-Israël : le peuple arabe palestinien et le peuple juif israélien (à ne pas confondre avec un soi-disant « peuple » juif qui engloberait tous les juifs de la Terre[2]). Actuellement, seul le peuple israélien a réalisé son droit à l’autodétermination. Et il l’a fait en niant ce même droit à l’autre peuple vivant sur cette terre et en l’opprimant. Certains parmi les « amis » du peuple palestinien pensent qu’on résoudra le problème en inversant la situation, c’est-à-dire en réalisant le droit à l’autodétermination du peuple palestinien au prix de la négation de celui du peuple israélien. Ceux-là oublient sans doute qu’aujourd’hui non seulement le peuple juif israélien, composé de près de six millions de personnes, existe mais que, de plus, la très grande majorité de ses membres sont nés sur place et n’ont pas d’autre patrie.     

Il découle de tout cela, qu’en tant que militant pour une paix juste entre Israéliens et Palestiniens, je réponds à la question « Israël-Palestine : un ou deux états ? » en disant ceci : ces deux options peuvent chacune être défendables à condition de se concrétiser dans des formes respectant les Droits de l’Homme et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ceci implique avant tout :

·       L’accession à la citoyenneté pleine et entière de tous les habitants du ou des deux états, sur un parfait pied d’égalité des droits (pas de citoyens de seconde zone) ;
·       La reconnaissance pour tous de toutes les libertés fondamentales (individuelle, d’opinion, d’expression, de réunion, d’association) ;
·       L’accès égal pour tous à tous les services à la collectivité (soins de santé, éducation, logement,…) et à toutes les fonctions de l’état.

·       Le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes doit nous conduire, au-delà de la garantie des droits individuels, à nous battre pour que soient garantis des droits collectifs, à admettre comme un fait irréversible que sur cette terre de Palestine-Israël vivent et vivront désormais deux peuples : les Palestiniens et les Israéliens. Par conséquent, plus fondamental que choisir entre un ou deux états, il faut « penser binational »[3] et garantir aussi des droits collectifs. Exemple : reconnaître l’existence de deux langues nationales, même dans le cas de la solution à deux états.

Penser binational s’oppose à la vision sioniste qui exige un « état juif » c’est-à-dire un état où les non juifs sont forcément des habitants ou des citoyens de seconde zone.

Une solution juste au conflit passe aussi par la reconnaissance des injustices commises et par leur réparation :

·       symbolique : les oppresseurs doivent demander pardon aux opprimés ;
·       concrète : Les exilés et leurs descendants doivent avoir le droit de revenir s’installer dans leur pays ou, si c’est leur choix, être indemnisés pour les dommages subis. Les spoliateurs (de la terre, de l’eau, des biens immeubles et meubles) doivent réparer les dommages qu’ils ont causés aux personnes spoliées ; les victimes (d’emprisonnement pour raisons politiques, de sévices corporels ou psychologiques,) ou leurs ayant droit doivent être indemnisés ; les responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité doivent rendre des comptes devant la justice.

CONCLUSION


Un ou deux états est une question secondaire qui ne doit pas diviser les partisans d’une solution juste au conflit palestino-israélien. Cette question est bien plus l’affaire des populations directement concernées et de leurs représentants. La responsabilité de ceux qui soutiennent de l’extérieur la cause d’une paix juste, est de soutenir toute solution respectueuse des Droits de l’Homme, du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et des conventions internationales qui s’en inspirent. Dans ce sens, le principe le plus fondamental qui doit nous guider est celui de l’égalité des droits entre les personnes et entre les communautés nationales.


                                                                                              Michel Staszewski  décembre 2011


[1] Palestine mandataire : l’ensemble du territoire sous contrôle britannique, de 1917 à 1948. Il est entièrement sous contrôle israélien depuis juin 1967.
[2] Les sionistes considèrent que tous les juifs du monde font partie d’un seul et même peuple. Comme l’a remarquablement démontré l’historien israélien Shlomo Sand dans son livre Comment le peuple juif fut inventé  (Fayard, 2008), cette vision relève du mythe car l’ensemble des juifs du monde ne constitue ni un « groupe humain (…) qui se caractérise par la conscience de son unité (historique, sociale, culturelle) et la volonté de vivre en commun » (définition de « nation » dans Le Nouveau Petit Robert 2010, p. 1672), ni  un « ensemble d’êtres humains vivant en société, habitant un territoire défini et ayant en commun un certain nombre de coutumes, d’institutions » (définition de « peuple » dans Le Nouveau Petit Robert 2010, p. 1879). Par contre, au sens de cette définition, les Juifs de l’état d’Israël constituent aujourd’hui indéniablement un peuple. C’est un fait objectif, une réalité que tout partisan d’une paix juste doit prendre en compte.
[3] Cf. RAZ-KRAKOTZKIN, A. Exil et souveraineté. Judaïsme, sionisme et pensée binationale, La Fabrique, Paris, 2007, en particulier p. 204 et suivantes.

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